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« Quoi que je fasse, je ne pouvais plus m’en sortir »

entretien avec Kikka
par Alexia Eychenne / 17 juin 2021

En avant-première du webinaire sur le burn-out animé par Santé & Travail, qui aura lieu le 28 juin prochain, Kikka, l’auteure du roman autobiographique « Je ne te pensais pas si fragile », raconte son histoire de cadre hyper investie dans son activité professionnelle… jusqu’à son effondrement.

Les premiers chapitres de votre livre, consacrés à votre carrière avant le burn-out, vous décrivent comme une salariée hyperactive et passionnée. Quel était votre rapport au travail ?
Kikka :
J'avais le profil d'une machine de guerre. Je disposais d’une grande capacité de travail, j’avais créé plusieurs sociétés et la conscience professionnelle était pour moi une vertu. En tant que salariée, je faisais confiance à mes employeurs. Ma dernière entreprise bénéficiait d'une certaine renommée, j'étais fière d'y participer. J'étais la collègue sur qui l'on pouvait toujours compter. J'avais un syndrome de la bonne élève, je cherchais à toujours satisfaire par mon travail. Faire des efforts me plaisait et je croyais qu'ils s'accompagnaient de récompenses. Être à fond dans le travail peut s’avérer grisant, un peu comme dans une course automobile. Le problème, c'est qu'il suffit d'un gravillon pour mener au crash.

Aviez-vous déjà pressenti qu’il y avait des risques à être trop investie ?
K. :
Quand vous avez la tête dans le guidon, vous n'avez pas le recul nécessaire. Mon entreprise organisait des « réunions corporate », presque des shows à l'américaine, développait tout un discours sur le « mieux-être » au travail, à grand renfort de baby-foot... Cette ambiance perturbe le discernement. Dire non devient compliqué, on se dit : « Ils sont quand même sympas… ». Les objectifs élevés s'accompagnaient aussi de primes conséquentes. C'est agréable, j'étais prise au jeu. Et tant que je recevais de la reconnaissance, le sens de mon travail me semblait préservé. Le précédent PDG me faisait bosser énormément, mais dans un collectif fort, avec des responsabilités, de l'autonomie et une montée en compétences.

Un jour, l'arrivée d'un nouveau manager change tout…
K. :
Lui a modifié tous les paramètres. Il a imposé le « diviser pour mieux régner », le contrôle permanent, les injonctions contradictoires. Non seulement je n'avais plus de reconnaissance, mais je subissais ses humiliations. Il lui suffisait de relever un détail montrant qu'une tâche n'était pas parfaite pour que je doute de moi et que je m’investisse encore davantage. Mon éducation m'a appris à me remettre en question. J'ai d'abord déployé des efforts pour m'adapter à lui. Puis, je me suis dit qu'il ne resterait pas, tant son comportement était à l'opposé des valeurs humanistes qu'affichait l'entreprise. Le turn-over était devenu tel que je pensais qu'on finirait par remarquer ses dégâts. J'adorais mon travail et mes équipes, je ne me voyais pas partir. Cela a joué dans la prise de conscience tardive de ce que je subissais.

Quels en ont été les premiers signes ?
K. :
J'ai commencé à y prêter attention quand, après une semaine de vacances, je me suis sentie encore plus fatiguée qu'avant de partir. Je ne sentais plus le moteur qui me permettait d'avancer à grande vitesse. J'ai compris que je ne pourrais plus gérer la même charge de travail. Mais je ne me sentais toujours pas malade. J'ai pris des congés, des jours sans solde. C'est comme un élastique qui se tend. On est dans le déni face aux symptômes. On pense pouvoir tenir encore et on a en tête l'idée que, si l'on s'arrête, on ne pourra jamais reprendre. Le burn-out vous renvoie l'image d'une insuffisance individuelle, alors qu'il est le miroir des insuffisances de l'organisation du travail.

Qu'est-ce qui a provoqué l'effondrement ?
K. :
Souvent, c'est une goutte d'eau après des choses bien plus violentes. Dans mon cas, je me trouvais face à un manager qui mentait et me donnait des consignes contradictoires. Ma méthode a été de le placer face à ses contradictions, avec des faits précis. Mais poussé dans ses retranchements, il m'a accusée de ne pas respecter la hiérarchie et m'a menacée de licenciement. J'ai réalisé à ce moment-là que, quoi que je fasse, je ne pouvais plus m'en sortir. On ne jouait pas à armes égales. C'est comme cela que je suis tombée. Je n'étais plus physiquement capable de me lever et de subir de nouvelles humiliations. J'ai d'abord réagi avec colère face à mon corps qui me lâchait. Mais j'ai fini par le remercier de m'avoir sauvée, comme un disjoncteur, alors que le mental aurait pu me dire : « Continue. »

Quel rôle a joué l'écriture dans votre reconstruction ?
K. :
Elle m'a aidée à faire jaillir des mots, des émotions, et à garder une trace de mon cheminement : comment j'évoluais, comment je comprenais ce qui se jouait, pour sortir de la culpabilité. Les ouvrages sur le burn-out rédigés par des experts n'aident pas forcément à la comprendre. J'ai voulu faire de mon livre un outil de prévention, mais aussi un message à mon entourage. L'univers professionnel est souvent vu comme pénible, alors on nous demande d'endosser une carapace, de cacher notre sensibilité, trop souvent associée à la fragilité et la vulnérabilité. Mais j'ai compris que tout cela fait notre humanité et que le monde du travail en a bien besoin.

A LIRE
  • Je ne te pensais pas si fragile, par Kikka, Editions Eyrolles, 2021.