Les rayonnements non ionisants, un risque ultra-fréquent

par Patrick Moureaux expert en rayonnements ionisants, non ionisants et optiques à l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS) / janvier 2015

Industrie, hôpital, télécoms... les rayonnements non ionisants sont omniprésents en milieu de travail. Ce qui ne va pas sans effets sur la santé, avérés ou encore incertains, et nécessite des mesures de prévention spécifiques.

Les rayonnements non ionisants (RNI) sont omniprésents dans notre environnement depuis toujours en raison de l'existence de champs électromagnétiques d'origine naturelle. Toutefois, la multiplication des champs d'origine artificielle, liée à l'utilisation de l'électricité, a considérablement accru leur présence et leur intensité. Et ce, plus particulièrement en milieu professionnel, où nombre d'activités impliquent des expositions à des niveaux supérieurs à la moyenne générale. Dans l'industrie, presses haute fréquence, fours à micro-ondes ou à induction, bacs d'électrolyse, postes de soudage à l'arc ou par résistance et autres électroaimants constituent des sources de RNI. A l'hôpital, les personnels pratiquant, par exemple, un examen d'imagerie par résonance magnétique (IRM) sont exposés à ce type de rayonnements. Tel est le cas également des opérateurs intervenant à proximité immédiate de lignes à haute tension ou encore d'antennes de radio ou télédiffusion.

Repères

Les champs électromagnétiques se manifestent par un rayonnement ionisant lorsque l'énergie transportée est assez importante pour éjecter un électron d'un atome ou d'une molécule ou non ionisant dans le cas contraire. On parle de :
- champ électrique statique quand il y a accumulation de charges électriques, par exemple aux bornes d'une batterie débranchée. Son intensité se mesure en volts par mètre (V/m) ;
- champ magnétique statique en présence d'un aimant permanent ou quand un courant continu parcourt des fils électriques. Son intensité se mesure en ampères par mètre (A/m) ; elle s'exprime aussi en termes d'induction magnétique, mesurée en teslas (T).
- champ électromagnétique dès lors que des charges électriques circulent dans un conducteur. Il y a présence d'un champ magnétique et d'un champ électrique, indissociables.

Vertiges et troubles de la vision

Ces diverses expositions ne sont pas sans conséquences sur la santé des travailleurs. Certains effets directs, résultant de l'immersion du corps dans un champ électromagnétique, sont avérés. Ils sont fonction de la fréquence de ce champ, exprimée en hertz (Hz) :

  • jusqu'à 1 Hz, ce sont essentiellement des effets sensoriels qui sont perçus pour des champs d'intensité élevée, à savoir pour une induction magnétique supérieure à 2 teslas (T). Ils ne sont constatés que lorsque le champ magnétique est variable ou si on se déplace à une vitesse supérieure à 1 mètre par seconde dans un champ magnétique statique constant. Ces effets se traduisent principalement par des vertiges, la perception d'un goût métallique dans la bouche ou l'apparition de phosphènes (lumières, taches...) à la périphérie de la vision. Ils ne sont pas considérés comme nocifs pour la santé dès lors que l'induction est inférieure à 8 T, mais ils peuvent, dans certaines situations de travail, générer un risque pour la sécurité des travailleurs ;
  • entre 1 Hz et 10 MHz, des effets de stimulation des tissus des systèmes nerveux central et périphérique ont été relevés. Ces effets sont considérés comme nocifs au-delà d'un certain seuil de champ électrique interne au corps humain. Ce champ interne est provoqué par une exposition à des champs électriques ou magnétiques dans l'environnement de travail. Des effets sensoriels de type phosphènes rétiniens ou modifications passagères mineures de certaines fonctions cérébrales peuvent être ressentis lors d'une exposition à des champs magnétiques de fréquence inférieure à 400 Hz ;
  • entre 100 kHz et 10 GHz, les effets constatés sont des effets thermiques qui correspondent à un échauffement des tissus du corps humain. Au-delà d'un seuil d'intensité de champ, l'échauffement des tissus est tel qu'il est considéré comme nocif pour la santé ;
  • entre 10 GHz et 300 GHz, les effets sont aussi thermiques, mais, compte tenu d'une caractéristique des champs électromagnétiques - plus la fréquence augmente, moins le rayonnement pénètre profondément dans les tissus -, l'échauffement est principalement localisé à la surface des tissus du corps humain. A partir d'un seuil déterminé, c'est le risque de brûlure de la peau ou des yeux qui sera prépondérant ;
  • entre 10 MHz et 110 MHz, des courants induits peuvent apparaître dans les membres. Ils sont considérés comme dangereux pour la santé s'ils sont trop intenses.

Par ailleurs, des effets indirects, constituant un risque potentiel pour la sécurité ou la santé, peuvent découler de la présence d'un objet dans un champ électromagnétique :

  • les interférences avec des dispositifs médicaux électroniques tels que les stimulateurs et implants cardiaques, les pompes à insuline, etc. (voir encadré page 45) ;
  • la projection d'objets ferromagnétiques en présence d'un champ magnétique statique ;
  • l'incendie ou l'explosion résultant de l'inflammation de matériaux du fait de la présence d'étincelles produites par des champs induits ou des courants de contact ;
  • les courants de contact qui surviennent lorsqu'une personne touche une structure (objet, machine, installation...) isolée de la terre électrique et chargée sous l'influence d'un champ électromagnétique. Inversement, une personne isolée du sol, par un revêtement de sol ou des chaussures isolantes, peut accumuler des charges électriques lors d'une exposition à un champ électromagnétique et provoquer une étincelle lors d'un contact avec une installation reliée au potentiel de la terre.

"Peut-être cancérogène"

Les effets sanitaires et sensoriels décrits ci-dessus n'apparaissent qu'au-delà de seuils d'intensité élevés, au regard de la plupart des expositions professionnelles. Concernant les effets à long terme, les études menées jusqu'ici n'ont pas mis en évidence de relation causale entre l'exposition à des champs électromagnétiques de faible intensité (champs que l'on rencontre dans notre quotidien ou dans la majorité des environnements de travail) et la survenue de cancers, par exemple. Bien que l'existence d'un risque de tumeur ne soit pas démontrée à ce jour, il est admis que le recul reste insuffisant pour écarter complètement cette possibilité. A ce titre, le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) a classé 2B ("peut-être cancérogène") les champs magnétiques d'extrêmement basse fréquence (EBF) en 2001 et les champs radiofréquences (RF) en 2011. Cette classification signifie qu'il pourrait y avoir un risque et qu'il faut donc surveiller de près le lien possible entre ces catégories de champs électromagnétiques et le risque de cancer.

Notons enfin que, quel que soit le type de champ électromagnétique, certaines personnes se plaignent de certains symptômes, regroupés sous les termes d'"hypersensibilité" ou d'"intolérance environnementale idiopathique" : asthénie physique ou musculaire, voire douleurs musculaires ; fatigue, pertes de mémoire, apathie contrastant avec une irritabilité anormale ; troubles du sommeil, insomnie ; maux de tête ; vertiges, malaises... L'inquiétude vis-à-vis de ce risque peut elle-même induire des effets sans rapport avec le risque réel. Pour ces symptômes, non spécifiques et réversibles, il est difficile d'affirmer le rôle de l'exposition aux champs électromagnétiques.

En environnement de travail, si les champs électromagnétiques sont présents partout et notamment aux proches abords des installations (machines, câbles, etc.), leur intensité est fort heureusement, dans la majorité des cas, très inférieure aux valeurs limites d'exposition fixées par les textes de référence. Il existe malgré tout quelques catégories de sources puissantes susceptibles de générer un risque important. Tel est le cas des sources d'émissions intentionnelles comme les émetteurs de radiodiffusion, de télédiffusion, de télécommunication et radars, dont les antennes d'émission sont en général installées en hauteur, dans des pylônes ou sur les toits des bâtiments. Les intensités de champ électrique dans l'environnement de ces antennes, parfois jusqu'à une distance significative, sont élevées et le risque qui en découle nécessite que des procédures d'accès soient mises en oeuvre et respectées. Ces procédures peuvent comprendre la coupure de l'émission. Dans certaines situations où il n'est pas possible de couper l'émission lors d'interventions dans la zone de rayonnement des antennes, il est impératif de porter un équipement de protection individuelle (EPI). Quant aux sources de champs électromagnétiques non intentionnelles, elles représentent également un risque potentiel. Parmi elles, on peut citer les machines à souder par perte diélectrique (soudage des matières plastiques), les électrolyseurs, le soudage électrique et certains inducteurs.

Directive européenne : transposition prévue en 2016

Les risques liés aux RNI ont fait l'objet de dispositions réglementaires. Ainsi, en 1999, la recommandation européenne 1999/519/CE a fixé des valeurs limites d'exposition pour le public. En 2002, le décret 2002-775 a repris ces valeurs pour limiter l'exposition aux champs électromagnétiques émis par les stations émettrices de télédiffusion, radiodiffusion et télécommunication. Ces limites s'appliquent en tout lieu accessible au public. Pour ce qui concerne la protection des travailleurs, la directive européenne 2004/40/CE, qui n'a pas été transposée en droit français, a posé les exigences minimales en matière de sécurité et proposé des limites d'exposition spécifiques appelées "valeurs déclenchant l'action" (VA). Elle a été abrogée en 2013 par la directive 2013/35/UE, qui devrait être transposée en droit français mi-2016. Ses principales particularités sont les suivantes :

  • la mise en place de VA basses entre 1 Hz et 10 MHz pour protéger les travailleurs contre les effets sensoriels et pour éviter le risque d'apparition d'étincelles dans les installations soumises à un champ électromagnétique ;
  • l'augmentation de la VA destinée à protéger contre les effets sur la santé entre 25 Hz et 1 640 Hz ;
  • la possibilité d'obtenir une dérogation de la part de l'Etat membre pour un dépassement des VA dans des circonstances particulières et justifiées.
  • la possibilité de dépasser les VA basses sous réserve que l'éventuel effet sensoriel ressenti ne provoque pas un risque pour la sécurité (dans le cas, par exemple, d'un travailleur utilisant un outil dangereux et ressentant un effet de vertige) ;

En matière de prévention des risques et de mise en oeuvre de moyens de protection, la directive reprend l'essentiel des règles générales déjà inscrites dans le Code du travail, en les adaptant aux risques spécifiques des champs électromagnétiques.

Dans le cadre de son obligation de sécurité de résultat, l'employeur doit procéder à l'évaluation des risques, consigner les résultats de cette évaluation dans le document unique, mettre en oeuvre les principes généraux de prévention, informer et former les travailleurs. Ce qui se traduira, en ce qui concerne le risque électromagnétique, par l'inventaire des sources de champ électromagnétique ; l'évaluation du risque pour chaque source en s'appuyant sur les informations disponibles, telles que le classement des sources par risque proposé par le guide Ineris/INRS ED 6136 (voir "A lire") ou la norme NF EN 50499 ; enfin, des mesurages au poste de travail près des sources susceptibles d'émettre des champs supérieurs aux VA.

Privilégier la réduction du champ à la source

En cas de dépassement des VA dans une zone donnée du poste de travail, des mesures de protection doivent être mises en oeuvre selon un ordre préférentiel. La réduction du champ à la source doit ainsi être privilégiée. Elle peut être assurée en modifiant les réglages de la machine (courant, tension, durée des cycles, mise à la terre...), en concertation avec le fabricant. La méthode la plus efficace reste le remplacement par une machine émettant peu ou moins. Si cette solution ne peut être envisagée, la mise en place d'un blindage électromagnétique entre la source et le travailleur jouera le rôle de protection collective. Cette protection doit être conçue par des spécialistes, du fait du comportement plus ou moins efficace des matériaux et de leur géométrie en fonction du champ à atténuer (électrique ou magnétique) et de la fréquence d'émission ; une mauvaise conception peut en effet entraîner l'augmentation de l'exposition. A défaut de blindage, sachant que le champ décroît avec la distance, on éloignera l'opérateur de la source de risque. Cela peut conduire à réaménager le poste de travail, par exemple en déportant un poste de commande. Quant à la protection individuelle, elle ne peut être envisagée qu'en dernier recours et uniquement pour la protection contre les champs haute fréquence. L'atténuation apportée par un EPI est variable selon la fréquence du rayonnement et, par ailleurs, il n'existe pas d'EPI contre les champs magnétiques basse fréquence.

Une évaluation des risques spécifique pour les porteurs d'implants

Les implants actifs tels que les défibrillateurs et les stimulateurs cardiaques sont des dispositifs médicaux électroniques susceptibles de dysfonctionner sous l'influence d'un champ électromagnétique. La plupart des fabricants d'implants précisent les intensités de champs maxima supportables par l'implant ; les seuils sont variables en fonction de la fréquence des rayonnements.

Lorsqu'un travailleur récemment implanté revient en entreprise, une évaluation des risques spécifique doit être réalisée sous la responsabilité de l'employeur. Cette analyse devra prendre en compte :

  • l'identification des sources d'émission de champs électromagnétiques pouvant présenter un risque ;
  • l'exposition réelle du travailleur sur son lieu de travail. Des mesures de champs pourront être effectuées dans l'environnement des sources précédemment identifiées. Elles doivent être faites dans les situations d'exposition "pire cas", c'est-à-dire en tenant compte des opérations ou des process qui génèrent les champs les plus forts et les durées d'exposition les plus longues ;
  • les caractéristiques techniques du dispositif médical. Le fournisseur pourra être consulté lors de l'étude ;
  • l'avis du médecin ayant prescrit la pose de l'implant.

C'est à l'issue de cette collaboration entre les acteurs (employeur, médecin du travail, fournisseur et médecin prescripteur) que l'aptitude du salarié au poste de travail pourra être appréciée.

La signalisation des zones où le rayonnement dépasse les VA est nécessaire et l'accès à ces zones doit être limité, voire interdit, par des moyens techniques tels que des barrières. Les lieux où l'intensité du champ est inférieure aux VA mais supérieure aux limites fixées pour le public par la recommandation 1999/519/CE doivent aussi être signalisés, afin d'alerter les porteurs d'implants actifs sur le risque de dysfonctionnement potentiel de ces dispositifs.

Signalons, pour finir, qu'un colloque intitulé "Rayonnements optiques et électromagnétiques au travail. De l'exposition à la prévention" se déroulera à Paris du 20 au 22 octobre prochain1 . Organisé par l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS), il sera l'occasion d'explorer plus avant le champ des connaissances scientifiques en matière de RNI et d'évoquer les mesures préventives qui permettraient de protéger les travailleurs d'un risque parfois encore mal pris en compte.

En savoir plus
  • Exposition des travailleurs aux risques dus aux champs électromagnétiques. Guide d'évaluation des risques, réf. ED 6136, Ineris/INRS, 2013.

  • Fiches de la collection "champs électromagnétiques", réf. ED 4200 et suivantes, INRS, 2005-2014.

  • Ces publications sont téléchargeables sur www.inrs.fr, rubrique "Produits et services", puis "Médiathèque".