© AdobeStock
© AdobeStock

Reconnaissance des maladies psychiques : ça se complique !

par Françoise Champeaux / 13 mai 2025

La justice a récemment contesté la reconnaissance de deux pathologies psychiques comme maladies professionnelles, en exigeant de la Sécurité sociale qu’elle motive l’existence d’un lien direct et essentiel avec les conditions de travail. 

Dans un arrêt du 7 février 2025, la Cour d’appel de Paris a jugé inopposable à une société une décision de prise en charge d'une maladie professionnelle d’une salariée souffrant de dépression. Motif : la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) n’avait pas produit d’éléments suffisamment probants pour établir le lien « direct et essentiel » entre la pathologie psychique de la travailleuse et son activité professionnelle.

Le 24 janvier, la même juridiction avait déjà rendu une décision d’inopposabilité pour la prise en charge d'une maladie professionnelle d'une salariée en burnout, et ce, malgré les avis favorables de deux comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (C2RMP). La Cour avait estimé que les motivations de ces derniers avaient été rendues sur la base de considérations trop générales. 

Ces comités, composés du médecin-conseil régional, d’un praticien hospitalier qualifié et d’un médecin inspecteur régional du travail, constituent le système complémentaire de reconnaissance des maladies professionnelles. En l’absence de tableau de maladie professionnelle sur les pathologies psychiques, ils sont un passage obligé pour les victimes.

Critères flous

Ces dernières doivent remplir plusieurs conditions pour obtenir la reconnaissance de leur maladie professionnelle. D’abord, l’incapacité permanente partielle (IPP) « prévisible » doit être supérieure ou égale à 25 %1 . « Si la victime est en arrêt entre trois et six mois, sous anti-dépresseurs et si elle est suivie par un psychiatre, le taux de 25% sera vraisemblablement atteint », décrypte Jacques Darmon, médecin spécialisé dans les risques psycho-sociaux au sein d’un centre de consultations de pathologies professionnelles parisien. 

Ensuite, il revient aux victimes d’établir le lien « direct et essentiel » entre leur activité professionnelle habituelle et la maladie. Cela n'a rien de simple. Pour Michaël Prieux, inspecteur du travail et membre du réseau Souffrance et Travail, « ce critère est trop imprécis et laisse place à des jugements de valeur ». Et même si depuis juin 2016, un psychiatre peut théoriquement participer au C2RMP, « les médecins qui y siègent ne sont généralement pas formés aux risques psychosociaux, et ont vite fait de rattacher la maladie psychique à un divorce ou une dépression antérieure », relève Jacques Darmon.

Des procédures centrées sur la souffrance physique

Quant au guide élaboré par un groupe d’experts pour faciliter la décision du comité, mis à jour en mars dernier, il est peu appliqué. Et selon Rachel Saada, avocate au sein de l’Atelier des droits, « les médecins membres du C2RMP sont souvent chacun dans leur posture. Le médecin de la caisse est focalisé sur le déficit de la Sécurité sociale, alors que la branche AT-MP [Accidents du travail - Maladies professionnelles, ndlr] est excédentaire ». De fait, « les avis du C2RMP sont souvent très elliptiques, et leur motivation est insuffisante », poursuit l'avocate, ce qui explique les deux décisions de la Cour d’appel de Paris. 

Il faut dire qu’en amont de la procédure, « les agents de la CPAM qui instruisent le dossier ne sont pas non plus sensibilisés à la problématique des maladies psychiques : les questionnaires envoyés aux salariés ne sont pas vraiment adaptés à ce type de pathologie, souligne Michaël Prieux. Les items sont essentiellement centrés sur le travail physique, en lien avec les tableaux de maladies professionnelles existants ». En outre, quand les entreprises sont dotées d’institutions représentatives du personnel, les enquêteurs de la CPAM devraient pouvoir les questionner es qualité, ce qui est rarement le cas.

Toujours pas de tableau

Dans ce contexte, il reste difficile d'obtenir la reconnaissance d’une maladie psychique professionnelle. Une mission d’information parlementaire sur l’épuisement professionnel avait suggéré d’abaisser le taux d’ouverture fixé à 25% d’IP à 10%. Mais les contraintes budgétaires en ont décidé autrement, renvoyant aux calendes grecques la proposition de loi sur le burn-out, portée en 2016 par Benoit Hamon. Inspiré du modèle suédois, ce texte supprimait la condition de seuil, « ouvrant la possibilité d’instruire tous les dossiers sans distinction ». 

Reste la piste d’un tableau ad hoc : dans un avis publié le 12 décembre 2024, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) plaide pour que les maladies psychiques et cognitives soient évaluées en vue de leur intégration dans un tableau spécifique. Cela permettrait leur reconnaissance automatique, sans que le salarié ait à prouver le lien entre sa maladie et son activité professionnelle. 

Cette procédure est en effet plus souple : dans le cas où le salarié ne remplirait pas toutes les conditions du tableau, il devrait établir que la maladie est « directement causée par [son] travail habituel », conformément à l’alinéa 6 de l’article L. 461-1 du Code de la sécurité sociale. Un lien « direct », donc, et non plus « direct et essentiel ». Mais en France, les freins à un tel projet sont encore nombreux, contrairement au Danemark qui a franchi le pas en inscrivant « le stress post-traumatique » sur la liste des maladies professionnelles.

  • 1Ce taux de 25 % devrait être prochainement abaissé à 20%, en application de l’une des dispositions de l’accord national interprofessionnel (ANI) du 15 mai 2023
A lire aussi