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Redonner la parole aux salariés sur le travail

par Rozenn Le Saint / 11 mai 2023

Lancées par le gouvernement, les Assises du travail ont associé chercheurs et partenaires sociaux. Elles se sont conclues sur la remise d’un rapport, le 24 avril, avec plusieurs propositions sur la nécessité d’écouter et d’associer davantage les salariés sur l’organisation du travail.

« Pourvoir mieux vivre de son travail et mieux vivre au travail » : c’était le mantra des Assises du travail, inaugurées par l’exécutif le 2 décembre 2022 dans le contexte explosif de la réforme des retraites. Elles visaient à alimenter le chantier sur un nouveau « pacte de la vie au travail », qui devrait aboutir à une loi d’ici à la fin de l’année. Les entreprises, chercheurs et représentants des syndicats qui ont accepté de participer à ces ateliers, dans le cadre du Conseil national de la refondation (CNR) lancé en septembre 2022 par le président de la République, ont planché sur le monde du travail de demain. A l’instar d’Yves Clot, professeur émérite en psychologie du travail au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam). Ce dernier estime néanmoins que « cet objectif de nouvelle loi paraît extrêmement compliqué, car la situation actuelle liée à la réforme des retraites est l’inverse de ce qui est promu dans le rapport, avec une défiance à son apogée ».

Un dixième principe de prévention

Le 24 avril dernier, Sophie Thiéry, présidente de la commission travail et emploi du Conseil économique social et environnemental (Cese), et Jean-Dominique Senard, président du groupe Renault, ont résumé dans un rapport la teneur de ces échanges, à travers dix-sept propositions. Certaines d’entre elles concernent une meilleure prise en compte de la parole des salariés, à travers le dialogue professionnel. L’une des plus emblématiques consiste à créer un dixième principe de prévention : « Ecouter les travailleurs sur la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail et les relations sociales. »
Cependant, Yves Clot regrette que « l’objet du dialogue professionnel n’ait pas été défini clairement, autour du “travail bien fait”, qualité des produits et des services compris ». Et comment passer de la réflexion à l’action ? Selon Michel Sailly, ergonome, conseiller à la CFDT et contributeur au laboratoire d’idées La Fabrique de l’industrie, une question-clé reste en suspens : « Concrètement, comment organiser les espaces de discussion au travail ? Là-dessus, ça ne progresse pas. Il ne faut pas attendre une nouvelle loi pour le résoudre. Il faut rompre avec cette logique très centralisatrice et mener des assises territoriales pour soutenir les expérimentations dans les entreprises et en tirer des leçons. »

Organiser le dialogue professionnel

Sur le dialogue professionnel, les rapporteurs chargent « l’Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact), organisme tripartite réunissant les partenaires sociaux et l’Etat autour d’un réseau régional, d’une mission d’identification et de capitalisation des bonnes pratiques en entreprise sur les espaces existants ou expérimentant de nouvelles modalités ». Pour le directeur technique et scientifique de l’Anact, Matthieu Pavageau, ce dialogue s’incarne d’ores et déjà dans « les espaces de discussions sur le travail, des outils créés dans la suite de tous les travaux sur la prévention des risques psychosociaux, qui développent les ressources collectives, le pouvoir d’action pour tout un chacun, dans une perspective qui lie santé au travail et performance ».
En vue d’aller plus loin, Yves Clot aurait aimé qu’un bilan des lois Auroux de 1982 soit tiré concernant le droit d'expression des salariés sur le travail et son organisation, « afin d’en souligner l’échec du fait qu’on ait voulu organiser les groupes d’expression des travailleurs par la hiérarchie ». « Les collectifs n’avaient pas le temps de préparer ces réunions, de se concerter, et ceux qui se rendaient aux groupes d’expression en présence de la hiérarchie ne pouvaient ni se “mouiller” ni s’engager », reproche-t-il. Un avis que ne partage pas Matthieu Pavageau : « Si l’on estime que c’est perdu d’avance parce que le manager comprimerait la parole, on n’arrivera pas à traiter des enjeux de transformation et de transitions. La qualité de ce dialogue sur le travail exige un appui organisationnel aux managers opérationnels. Au sein de leur équipe, ils vont en effet mettre en discussion des situations de travail qui présentent des empêchements, des injonctions contradictoires, etc. »

Manager ou référent métier ?

Selon ce dernier, « le fait que les managers soient impliqués dans l’animation de ce dialogue permet de dépasser les exercices consistant uniquement à vider son sac ». « Ce ne sont pas des espaces de parole mais de délibération sur les enjeux du travail, résume-t-il. Ainsi, les produits de ces travaux doivent nourrir les décisions et le dialogue social. » Il fait aussi valoir que « ce qui favoriserait les choses, c’est que ces managers et leurs équipes aient encore davantage les coudées franches, la main sur un certain nombre de décisions qui engagent directement leurs conditions de réalisation du travail ». Les expériences en entreprise suivies par Yves Clot l’amènent à proposer une autre solution. « L’élection de référents métier qui ne sont pas des hiérarchiques mais discutent du travail avec les salariés, qui sont des collègues comme les autres, syndicalistes ou non, est la meilleure façon de faire vivre le collectif », estime l’auteur du livre Le prix du travail bien fait. Les partenaires sociaux ont jusqu’à la fin de l’année pour en débattre.

Garantir l’accès aux droits pour les plus précaires
Rozenn Le Saint

Le rapport issu des Assises du travail et publié le 24 avril préconise la portabilité des droits effectifs des travailleurs. Une revendication de longue date de la CGT. Le syndicat s’en réjouit, tout en insistant sur les conditions nécessaires pour que le dispositif fonctionne.

Changements d’entreprises, de statuts, de métiers, précarité de l’emploi… De nombreux travailleurs perdent l’accès à leurs droits du fait de l’évolution du marché du travail. Les plus précaires sont particulièrement concernés : ils sont peu voire pas du tout indemnisés en cas d’arrêt maladie ou d’accidents du travail et de maladies professionnelles ; l’acquisition de droits pour le chômage ou la retraite est plus compliquée pour eux. Et pour cause, leur pouvoir de négociation est limité. Pour remédier à ces difficultés, un récent rapport propose d’« assurer aux travailleurs des droits effectifs et portables tout au long de leur parcours professionnel ».
Ce rapport est celui des garants des Assises du travail, une initiative lancée par l’exécutif en décembre 2022 : Sophie Thiéry, présidente de la commission travail et emploi du Conseil économique social et environnemental (Cese), et Jean-Dominique Senard, président du groupe Renault. Le document, publié le 24 avril dernier, rappelle un chiffre-clé : « En 2017, les embauches de moins d’un mois représentent presque 70 % des embauches totales (50 % en 2000). »

Quels moyens financiers ?

Pour la CGT, l’idée de la portabilité n’est pas nouvelle. La confédération syndicale porte cette revendication depuis plus de vingt ans et se réjouit de sa reprise dans le cadre des Assises du travail, alors qu’elle n’a pas maintenu sa participation à cette initiative du fait de la réforme des retraites. Pour Mireille Stivala, secrétaire confédérale de la CGT, ce dispositif nécessite néanmoins des moyens financiers à la hauteur, afin que l’annonce de la portabilité « ne soit pas qu’un affichage ».
Tout dépendra de ses conditions de mise en application. Sur ce sujet, le rapport issu des Assises préconise le lancement d’une mission par des inspecteurs généraux de l’administration (IGA), des affaires sociales (Igas) et des finances (IGF), afin de faire le point sur les droits sociaux effectivement acquis par les plus précaires, vacataires, travailleurs indépendants ou des plateformes numériques… Le texte recommande également de mettre à l’agenda des discussions entre partenaires sociaux, sous l’égide de l’Autorité des relations sociales des plateformes de l’emploi (Arpe), la couverture du risque accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP) « pour les travailleurs des plateformes de mobilité via un système de prélèvement obligatoire au 1er euro travaillé ».

Le portail unique, fausse-bonne solution ?

Enfin, le rapport mise sur la création d’un portail unique d’accès aux différents comptes sociaux. Un dispositif dont Mireille Stivala se méfie : « C’est devenu un leitmotiv de proposer un guichet unique. Encore faut-il lui donner les moyens de coordonner tous les acteurs, afin que cela permette effectivement aux travailleurs d’accéder à leurs droits. » Elle espère aussi qu’il ne s’agira pas uniquement de prestations virtuelles, dématérialisées. « Cela limiterait l’accès de certains travailleurs, moins familiers avec les connexions, met-elle en garde. Par définition, ceux qui en auront besoin vivent des situations complexes. La meilleure façon de les régler est d’avoir quelqu’un en face de soi pour se faire aider. »