© Johan Keslassy

Conduite du changement : jamais sans les salariés

par Nathalie Quéruel / juillet 2021

Déménagement d’un site, installation de nouvelles machines, mise en place du télétravail, réorganisation de services, restructuration… Les entreprises sont comme des organismes vivants, en perpétuelle transformation. Bien souvent, la conduite du changement est pratiquée de façon verticale, prérogative de la direction qui met sur la table un projet déjà ficelé sur lequel le CSE est consulté de façon formelle, sans pouvoir réellement intervenir. Et si les salariés formulent des réserves, ce n’est que la manifestation d’une « résistance au changement » qu’il s’agit de surmonter bien vite à grand renfort de tours de passe-passe managériaux. Il est temps de changer d’approche. Toute transformation, parce qu’elle entraîne des effets majeurs sur le travail, ne peut se passer de l’expérience de ceux qui le font. Au risque de rater ses objectifs, détériorant tout autant la performance de l’organisation que les conditions de travail. Que les salariés deviennent acteurs du changement ne relève pas de l’utopie. Chaque projet, y compris le plus modeste, est une occasion de l’expérimenter. Ce dossier montre comment il est possible de construire cette participation, d’organiser l’expression de chacun sur son activité quotidienne, de structurer l’action du CSE pour qu’il pèse davantage sur les choix. Une démarche d’autant plus nécessaire qu’elle est un gage de la préservation de la santé.

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Réflexion collective dans le vignoble bordelais

par Catherine Abou El Khair / juillet 2021

Au domaine de Château Latour, la direction a impliqué des salariés et leurs représentants pour revoir un aménagement, autour des pressoirs, qui rendait pénible une tâche pendant les vendanges. En misant sur l’expérience des ouvriers de chai.

Pendant longtemps, verser le raisin dans les pressoirs a été cause de désagréments pour les ouvriers de chai travaillant au domaine de Château Latour, à Pauillac (33). Au moment des vendanges, il fallait en effet être deux pour positionner le lourd entonnoir métallique au-dessus de la cuve, afin de la remplir. Un geste réalisé sous contraintes : il fallait rester fléchi sur la passerelle qui donne accès à la partie supérieure des pressoirs pour ne pas se cogner la tête, tout en veillant à ne pas perdre l’équilibre à plus de deux mètres du sol.
Répétée jusqu’à dix fois par jour au plus haut de la période de vendanges, la tâche, en partie réalisée par des saisonniers moins expérimentés, était devenue une préoccupation : « Les salariés me remontaient le problème chaque année », confie Michaël Mau, élu CGT du CSE. Des solutions pratiques sont envisagées qui butent toutes sur la dimension des locaux. Jusqu’à ce qu’une équipe d’ergonomes de l’Institut polytechnique de Bordeaux, intervenant sur le domaine, préconise une autre méthode. Plutôt que de réfléchir à l’acquisition d’un nouvel équipement, « on a listé les problèmes de hauteur, de manutention, de risque de chute ainsi que les modifications à apporter, point par point », explique Michaël Mau. Cette réflexion, menée avec quelques salariés, s’est conclue par l’élaboration d’un cahier des charges qui recense les objectifs attendus des changements devant être apportés à l’outil.
L’entreprise viticole s’est alors tournée vers un fournisseur, qui a trouvé une solution : utiliser le chariot élévateur pour positionner l’entonnoir. « On n’imaginait pas le manipuler comme ça et ça ne prend pas plus de temps », reconnaît Pierre-Henri Chabot, maître de chai de Château Latour. Un chaudronnier a adapté la trémie pour qu’elle puisse être soulevée mécaniquement ; la passerelle, qui comptait trois niveaux, n’en compte plus que deux, réduisant le risque de chutes.

Un changement d’habitude

Pour Johann Petit, un des ergonomes, ce changement a priori anodin ne l’est pas tant que cela : « Cette démarche donne une place aux élus du personnel et au point de vue sur le travail ; cela modifie les relations sociales. » Alors que les entreprises changent souvent de matériel sans consulter le personnel, raisonner en termes de « fonctionnalité », sans aller chercher d’emblée des solutions, favorise des réaménagements plus satisfaisants. Le rôle des salariés n’est pas d’avancer des idées techniques mais d’utiliser leur connaissance du travail pour aider le fournisseur à faire des propositions adaptées, voire pour les tester avec des simulations. L’approche a convaincu la direction du domaine, qui, souhaitant un management plus participatif, mise sur la santé et la sécurité comme support de dialogue. Elle représente toutefois un changement d’habitude pour une PME où « quand on voit un problème, on veut le traiter rapidement » mais avec le risque « qu’on oublie certains paramètres », relate Chloé Hervault, la responsable des ressources humaines de Château Latour. Pour la réorganisation du service d’embouteillement, de mise en caisse et d’expédition, des salariés ont été à nouveau consultés selon les mêmes modalités. « Tout ce qui a été proposé a été validé », se satisfait Chloé Hervault.