"Rendre la recherche tributaire de priorités industrielles est périlleux"

par Corinne Duhamel / janvier 2009

Pour Eric Gaffet, spécialiste des nanomatériaux, la réforme de la recherche scientifique en cours va réduire le champ d'investigation des chercheurs au profit d'objectifs industriels et pose la question de la transparence des résultats.

En quoi la réforme qui entrera en vigueur à partir de 2009 peut-elle avoir un impact négatif sur la recherche ?

Eric Gaffet : Les objectifs de la recherche seront demain définis sur du court et moyen terme - à trois ans - et les budgets seront accordés en priorité sur ces objectifs. Compte tenu de la fréquence des appels à projets, les équipes vont devoir consacrer davantage de temps à répondre à ceux-ci. Les recrutements de personnels dans un tel cadre ne se feront plus que sur la base de CDD de courte durée, ce qui installera les jeunes chercheurs dans l'instabilité et les dissuadera de se consacrer à des sujets de recherche plus académiques. Le risque d'une transformation du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) en agence de moyens, c'est aussi de ne plus définir d'objectifs sur la longue durée. C'est le modèle actuel américain. Or cette logique est remise en cause par l'équipe du nouveau président des Etats-Unis. Un tel modèle est en effet considéré comme à l'origine d'un appauvrissement des ressources intellectuelles du pays, mais aussi du déficit de la balance commerciale en hautes technologies. En n'alimentant plus la recherche de fond, on n'invente pas de nouveaux concepts.

Avec quelles conséquences pratiques ?

E. G : Le rythme d'avancement des connaissances n'est pas forcément celui du temps court des contrats de recherche. Qu'est-ce que le court terme en matière de nanotechnologies ? Cela peut être l'amélioration ponctuelle de propriétés. Par exemple, dans le domaine de l'automobile, cela peut consister, sans apporter de nouveaux concepts, à abaisser dans l'urgence la pollution des véhicules pour qu'ils respectent les nouvelles normes européennes. Dans le champ de l'avancement des connaissances, il y a bien sûr une question d'opportunité, mais parallèlement à cela, il y a du travail obscur et la nécessité de pouvoir tester un certain nombre d'idées et de concepts. Tout cela demande du temps, une stabilité et un véritable statut de chercheur. La réforme entérine la logique de contrats de recherche, calqués sur des objectifs jugés prioritaires, et, du coup, on ne ciblera que des sujets correspondant à des priorités issues des stratégies industrielles. Or rendre la recherche tributaire de priorités industrielles définies éventuellement par des directions ne se trouvant plus en France, ni même en Europe, c'est périlleux !

Une recherche indépendante doit-elle être financée à 100 % sur des fonds publics ?

E. G : Au cours de l'année 2004, les dérives observées aux Etats-Unis dans le domaine de la santé - résultats tronqués, omission volontaire de données défavorables à tel ou tel principe actif - ont conduit les autorités de tutelle à établir des codes de bonne conduite qui obligent les chercheurs à mentionner leurs liens d'intérêt avec les laboratoires industriels à l'occasion de la publication de résultats dans des revues scientifiques. Il me semble que des échanges, voire des travaux partagés, sont non seulement possibles avec des opérateurs industriels, mais devraient être encouragés. Mais cela nécessite d'avoir un cadre formel assurant, par exemple, la transparence des résultats. Il faut avoir établi au préalable un code de bonnes pratiques sur lequel s'engagent tant les industriels que les scientifiques.

Dans le domaine particulier de l'impact sanitaire et environnemental des nanoparticules, il existe déjà des financements mixtes nationaux et européens permettant de soutenir les activités. Cette mise en commun de moyens humains et financiers a pour but de consolider les programmes de recherche sur ces sujets.