© AdobeStock
© AdobeStock

Rentrée à haut risque dans l’Education nationale

par Joëlle Maraschin / 01 septembre 2022

Le recours massif à des contractuels non formés au métier au sein de l’Education nationale risque de dégrader les conditions de travail et la santé psychique des professionnels, selon des syndicalistes et une ergonome spécialiste de l’enseignement.

Près de 4 000 postes de professeurs sont restés vacants faute de candidats aux derniers concours de l’Education nationale. Une crise inédite du recrutement en raison, d’une part, d’un manque d’attractivité du métier et, d’autre part, de la réforme de la formation initiale des enseignants, avec un niveau de diplôme requis plus exigeant. Au regard des inquiétudes soulevées par cette pénurie, le nouveau ministre de l’Education a promis qu’il y aurait un enseignant dans chaque classe… grâce à l’embauche de contractuels. Dans la foulée, des opérations de recrutement ont été lancées cet été, comme ces job dating, entretiens d’embauche express réalisés à la chaîne qui ont fait polémique.
En définitive, après une formation éclair, des milliers de primo-enseignants vont se retrouver seuls devant des élèves. « Notre métier est loin d’être facile. C’est inadmissible de lâcher ces personnes dans l’arène d’une classe avec seulement quatre jours de formation », s’indigne Marie Laferrière du SNUipp-FSU 75, syndicat qui représente les professeurs d’école à Paris. Hervé Moreau, responsable santé au travail pour la FSU et professeur dans le secondaire, s’inquiète des risques psychosociaux auxquels seront exposés les contractuels. « Faire face à des élèves est un vrai savoir-faire », souligne-t-il. Un savoir-faire qui se construit au fil des années et après une formation de deux ans à l’Inspé (Institut national supérieur du professorat et de l’éducation).

Déqualification du métier

Ergonome et maîtresse de conférences à l’université Lyon 2, spécialiste des métiers de l’enseignement, Dominique Cau-Bareille est elle aussi préoccupée par la santé psychique des contractuels. Comme par celle des titulaires. « Le déni par l’institution des compétences et des savoir-faire peut être vécu comme une déqualification de leur métier », met-elle en garde. « Un enseignant de primaire ne fait pas de la garderie, nous avons été formés pour enseigner », rappelle Marie Laferrière. Une évidence semble-t-il « oubliée » par les pouvoirs publics, alors que le métier d’enseignant devient de plus en plus difficile. « On n’imagine pas le travail psychique, la gestion émotionnelle, l’engagement physique qu’il suppose », précise Dominique Cau-Bareille.
Non préparés aux réalités du métier, certains contractuels jettent d’ailleurs l’éponge rapidement. « Les démissions au bout de quelques semaines ne sont pas rares », atteste Guislaine David, secrétaire générale du SNUipp-FSU. Dans l’espoir d’être réembauchés l’année suivante, d’autres endurent, en silence, des situations de travail dégradées. « Les contractuels ne se plaignent jamais officiellement, ils ne signalent pas les problèmes susceptibles de les mettre en danger dans les registres de santé et de sécurité au travail », poursuit Hervé Moreau.

Professeurs et formateurs ?

Depuis des années, leur embauche sert de variable d’ajustement face aux suppressions de postes. Et leur formation, réalisée sur le tas, est déléguée de manière informelle aux titulaires, sans moyen supplémentaire ni accompagnement par l’administration. Un travail invisible et coûteux pour ces derniers. « Nous allons devoir soutenir et aider les contractuels, sans savoir s’ils arriveront ou non à tenir toute l’année. Et cela se passe parfois mal avec les enfants mais aussi avec les parents, il faut gérer derrière. Dans les académies très déficitaires, les titulaires s’épuisent », observe Guislaine David. Hervé Moreau évoque de son côté « la charge émotionnelle » des professeurs témoins de situations de souffrance au travail de leurs collègues contractuels.
« Dans quelle mesure les titulaires sont-ils prêts à jouer le jeu et à cautionner ce type de recrutement ? », se demande Dominique Cau-Bareille. Les syndicalistes assurent qu’ils ne laisseront pas leurs nouveaux collègues dans la galère. Néanmoins, l’intégration au sein d’un collectif de travail nécessite du temps. Et les contractuels risquent de se retrouver en marge des collectifs, avec à la clé une fragilisation des équipes éducatives. Celles-ci se déstructurent au rythme des contrats, estime le SNUipp-FSU, car la stabilité se délite et avec elle l'accompagnement des élèves. « Nous sommes censés monter des projets pédagogiques ensemble, c’est plus simple lorsque nous nous connaissons », confirme Marie Laferrière.

Cercle vicieux

Par ailleurs, le manque d’enseignants titulaires limite l’accès de ces derniers à certains droits : mutation, temps partiel, congé de formation ou disponibilité. « Ces reculs participent à la dégradation des conditions de travail et à la désaffection du métier », déplore la secrétaire générale du SNUipp-FSU. D’après les syndicalistes, les démissions et les demandes de rupture conventionnelle ne cessent d’augmenter. « Les enseignants n’en peuvent plus, ils quittent leur métier ou anticipent leur départ en retraite pour ne pas hypothéquer leur santé », témoigne Dominique Cau-Bareille. Entre la dégradation des conditions de travail et la déqualification du métier, la crise des vocations enseignantes ne semble donc pas prête d’être enrayée… Au détriment des élèves.

Les dégâts collatéraux de la réforme du bac
Joëlle Maraschin

« Dans certains conseils de classe, nous sommes plus de professeurs que d’élèves. C’est ingérable, les collectifs de travail sont largement mis à mal », déplore Hervé Moreau, responsable santé au travail pour la FSU. Une conséquence de la dernière réforme du baccalauréat, selon le syndicaliste. Ce constat, relayé récemment par la revue collaborative Café pédagogique sur son compte Twitter, s’appuie sur les données d’une note d’information publiée fin 2021 par la direction de l’Evaluation, de la Prospective et de la Performance (Depp) du ministère de l’Education nationale. Celle-ci traite de l’impact de la réforme sur le travail des enseignants depuis la rentrée 2019. Selon la note, le nombre moyen de professeurs intervenant dans une classe en première et en terminale serait passé de 18 en 2018 à respectivement 30 et 28 en 2020. Des équipes éducatives pléthoriques dans chaque classe, qui rendraient le travail en commun de plus en plus compliqué. « Il est devenu presque impossible de savoir avec quels collègues on travaille », déclarait en 2021 le syndicat Snes-FSU dans un communiqué. Toujours selon la note, en 2020, un enseignant intervenait dans 7,7 classes en moyenne, contre 6,4 en 2018. Un alourdissement de la charge de travail dénoncé également par le Snes. « Davantage de classes différentes, c’est davantage d’élèves à connaître et de copies à corriger », fait observer le syndicat. En parallèle, le nombre d’heures de cours dispensées aux élèves de première et terminale aurait globalement diminué entre 2018 et 2020, avec 35 820 heures en moins. Cela correspondrait à 1 990 postes en équivalent-temps-plein supprimés, toujours selon le Snes.