Renverser la table !

par
François Desriaux rédacteur en chef
/ avril 2021

Ça chauffe sur le climat et, toutes proportions gardées, ça chauffe aussi pour la santé au travail. On enregistre une certaine similitude dans les débats autour des textes parlementaires entre ce qui se passe sur le projet de loi « portant lutte contre le réchauffement climatique » et ce qui s’est passé en février concernant la proposition de loi des députées LREM Charlotte Parmentier-Lecocq et Carole Grandjean « pour renforcer la prévention en santé au travail ». Dans les deux cas, les critiques les plus nourries viennent des professionnels et des experts. Alors que le gouvernement et sa majorité mettent en avant les mérites et les avancées inédites de ces textes, les spécialistes et personnes de métier concernés estiment qu’ils ne sont pas à la hauteur des enjeux.
Sur la santé au travail, chercheurs, médecins et infirmières du travail, intervenants en prévention des risques professionnels (IPRP), tous ont exprimé, notamment sur notre site www.sante-et- travail.fr, le manque d’ambition de ce texte au regard d’une évolution préoccupante de l’état de santé des travailleurs, impacté par la dégradation des conditions de travail. Fait inédit, près de 800 médecins du travail ont écrit aux députés pour demander des aménagements assez radicaux à la proposition de loi, sans les obtenir.
Alors pourquoi un tel divorce ? La matrice du texte en débat sur la santé au travail est pourtant un Accord national interprofessionnel (ANI), signé de façon quasi unanime par les confédérations syndicales, à l’exception de la CGT. Sans doute parce que sur la prévention des risques professionnels, comme sur la lutte contre le réchauffement climatique, ni le gouvernement, ni les entreprises, ni les partenaires sociaux ne sont prêts à « renverser la table » ou à changer radicalement de paradigme. Or, sur ces deux sujets majeurs, c’est bien ce qu’espéraient les professionnels. Ils estiment que les demi-mesures et les compromis ne sont plus de mise si l’on veut épargner les salariés, ou si l’on veut éviter les fameux deux degrés en plus à la fin du siècle. Et, sur ce dernier point, l’Histoire leur donne raison.
Depuis la création de notre magazine – cela fait trente ans cette année – les plans de prévention des troubles musculosquelettiques, des risques psychosociaux ou des expositions aux cancérogènes s’enchaînent. Pour des résultats bien maigres. Les maladies professionnelles et les exclusions du monde du travail à cause d’un problème de santé résultant d’un défaut de prévention n’ont jamais été aussi nombreuses. Comme l’écrivait le psychologue et psychothérapeute Paul Watzlawick, « toujours plus de la même chose donne toujours plus du même résultat ». Il est donc vraisemblable que, malgré l’ambition affichée dans l’exposé des motifs de la proposition de loi, on soit loin du compte pour « faire de la France l’un des pays les plus performants et innovants en Europe en matière de prévention dans le domaine de la santé au travail ».