Restructurations : comment préserver les conditions de travail ?

par Joëlle Maraschin / 24 novembre 2009

Les effets sur la santé des restructurations d'entreprises et l'importance du rôle de prévention des CHSCT à cet égard ont mobilisé les discussions lors des deuxièmes rencontres de Santé &Travail, organisées le 20 octobre dernier à Paris.

Avec la crise, les restructurations d'entreprises s'accélèrent, en faisant des dizaines de milliers de victimes. A tel point que l'Organisation mondiale de la santé (OMS) parle d'une « catastrophe épidémiologique ». C'est pourquoi le magazine Santé & Travaila décidé de consacrer ses deuxièmes rencontres au thème : « Comment sauvegarder les conditions de travail face aux restructurations ». Organisées à Paris, le 20 octobre dernier, ces rencontres ont permis de dresser plusieurs constats.

Ainsi, comme l'a mis en évidence le rapport Hires (Health in Restructuring) sur la santé dans les restructurations, remis début 2009 à la Commission européenne, la perte d'emploi s'accompagne de problèmes de santé : détresse psychologique, troubles cardiovasculaires, augmentation des addictions… Mais les restructurations peuvent aussi avoir des effets sur la santé de ceux qui restent dans les entreprises après un plan social, souvent confrontés à une intensification de leur travail. « Les transitions socioéconomiques du début des années 1980 ont déjà coûté, selon les épidémiologistes, près de 3 millions de morts additionnels. Force est de constater que nous n'avons toujours pas pris la mesure de ce phénomène en termes de santé publique », a estimé Claude-Emmanuel Triomphe, coauteur du rapport Hires.

Pierre Gojat, responsable syndical CFE-CGC à France Télécom et secrétaire général de l'Observatoire du stress et des mobilités forcées, a évoqué les ravages des restructurations sur la santé au sein d'un groupe pourtant riche et profitable. Confrontés à une vague de fusions, d'acquisitions, de délocalisations, mais aussi de suppressions massives d'emplois, les salariés de France Télécom sont ballottés d'un site à un autre, d'une tâche à une autre. Ils perdent complètement leurs repères, sans plus pouvoir identifier pour qui ni pour quoi ils travaillent. « Ce sont eux qui supportent le coût social de ce véritable chaos organisationnel », a déploré le syndicaliste.

Quel rôle pour les CHSCT ?

A la différence des comités d'entreprise (CE), obligatoirement consultés par l'employeur sur un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE), les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) sont rarement associés aux discussions lors des restructurations. Un arrêt de la Cour de cassation de mars 2008, dit « arrêt Snecma », a néanmoins changé la donne. La Haute Cour a en effet suspendu une réorganisation du travail qui réduisait le nombre de salariés au motif qu'elle générait des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs. Pour leur part, les cabinets d'expertise recommandent aujourd'hui aux CE et CHSCT de coordonner leur action, afin de défendre à la fois l'emploi et les conditions de travail.

Lors d'un PSE décidé en février 2009 sur l'un des sites du groupe pharmaceutique GlaxoSmithKline (GSK), le cabinet d'expertise Secafi a ainsi convaincu les représentants du personnel de demander une expertise CHSCT. « En cas de PSE, nous encourageons les CE et CHSCT à travailler ensemble », a précisé François Cochet, directeur associé du cabinet d'expertise. Alors que le PSE de GSK prévoyait la suppression de 750 postes, l'expertise CHSCT a démontré l'impossibilité de garantir l'activité dans des conditions de travail tenables. « Nous avons pu empêcher la suppression de 96 postes », a précisé Christian Longuemare, secrétaire du CHSCT concerné.

Face à des restructurations conçues de façon comptable, les représentants du personnel ont tout intérêt à mettre en lumière l'inadéquation des calculs réalisés par les gestionnaires avec la réalité du travail. Ce type de démarche permet de limiter la dégradation des conditions de travail mais aussi de sauver certains emplois. « La question que doivent se poser les salariés et leurs représentants est de savoir s'il sera possible de sortir des pièces de qualité, de faire leur travail dans ces nouvelles conditions », a ajouté François Cochet.

A ThyssenKrupp Sofedit, un équipementier automobile, la direction prévoyait la suppression d'un millier d'emplois, la fermeture de plusieurs usines et le transfert d'un certain nombre d'activités de travail sur le site principal du Theil, dans l'Orne. Conseillé par le cabinet Syndex, le CHSCT du site s'est invité dans les discussions sur le PSE, expertise à la clé. « L'analyse a montré que le transfert de ces activités était susceptible de se traduire par du travail de non-qualité », a précisé Jean-Baptiste Hervé, responsable des expertises CHSCT chez Syndex. La direction de l'entreprise a dès lors accepté de rentrer dans un processus d'accompagnement, étape par étape, en lien avec les élus CHSCT. « La mise en œuvre de cette expertise a permis de récréer du collectif dans l'entreprise », a souligné Johnny Favre, secrétaire du CHSCT.

Un mode de gestion

Pour Jean-Baptiste Hervé, l'important est que le CHSCT reste dans le jeu pour défendre les conditions de travail alors que l'entreprise est en pleine restructuration. Gérald Le Corre, inspecteur du travail, a cependant précisé que la défense des conditions de travail par le CHSCT n'est pas toujours aisée. « Il ne faut pas nier les chantages à l'externalisation », a-t-il observé. Même si l'arrêt Snecma constitue une avancée, il a estimé que l'espace de discussion autour des conditions de travail reste encore bien mince. « Pour les employeurs, négocier les conditions de travail, c'est remettre en cause leur pouvoir de direction », a-t-il déploré.

Danièle Linhart, sociologue et directrice de recherche au CNRS, a clôturé la journée en dénonçant l'instrumentalisation des restructurations par les nouvelles formes de management. « Les restructurations sont devenues un mode de gestion pour mettre les salariés sous pression », a-t-elle déclaré. Selon elle, ces restructurations sont « orchestrées » afin de mettre les salariés dans des situations de vulnérabilité et de dépendance. « Elles sont la preuve d'une défaillance managériale puisqu'il s'agit avant tout de sous-traiter aux salariés l'ensemble des difficultés », a ajouté la sociologue.