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Retraite à 65 ans… facile à dire !

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Bénilde Feuvrier, médecin du travail
/ 08 avril 2022

Le recul de l’âge de la retraite prôné par plusieurs candidats à la présidentielle posera de nombreux problèmes aux salariés soumis à des travaux pénibles mais aussi aux entreprises, alerte le Dr Bénilde Feuvrier, médecin du travail à Dole (Jura) et membre de l’observatoire national en santé au travail Evrest.

Les propositions de départ en retraite à 65 ans portées par des candidats à l’élection présidentielle me font immanquablement penser à cette récente consultation, où j’ai reçu un opérateur sur presse dans le secteur de la plasturgie. A 58 ans, il venait me demander comment je pouvais l’aider à cesser son activité professionnelle le plus tôt possible, parce qu’il « était épuisé ».
Et ceci est le quotidien des équipes médicales en santé au travail.
Nous ne sommes pas experts en financement de la protection sociale et des régimes de retraite. Mais nous voyons clairement que, quand on repousse l’âge « plancher » de la retraite, comme ce fut le cas avec la réforme de 2010 qui a acté le passage de 60 à 62 ans, la mesure pèse lourdement sur celles et ceux que nous avons le plus de mal à prendre en charge : les salariés qui pourraient partir sans tarder car ils ont fait le plein de leurs années de cotisation. Ils ont commencé à travailler tôt, ont fait peu d’études, ne font pas partie des catégories sociales supérieures. Et surtout, ils ont été, davantage que d’autres, exposés à des tâches pénibles qui laissent des traces sur leur santé. Pour ces mêmes raisons, ce sont des femmes et des hommes qui vont être bien difficiles à réaffecter sur un poste de travail différent, ou sur le même avec un aménagement, particulièrement dans les petites et moyennes entreprises comme celles que nous rencontrons dans nos services.

Maux invalidants

Selon les résultats nationaux de l’observatoire Evrest1 auquel je participe, 49 % des ouvriers de 55-59 ans souffraient de douleurs articulaires en 2018-2019. Pour les deux tiers, ces douleurs constituaient « une gêne dans le travail ». Tant que cette « gêne » ne les prive pas complètement de leurs capacités de travail, leur vie professionnelle se poursuit tant bien que mal – et souvent en aggravant ces troubles. Or quand vient le moment où leur ténacité ne suffit plus, ces salariés et leurs employeurs attendent de notre part des solutions… de plus en plus délicates à trouver. Que pouvons-nous proposer, alors, à cet opérateur sur presse dont j’ai parlé au début de cette tribune ? Mais aussi à ce maçon de 60 ans qui présente des douleurs articulaires diffuses et qui doit poursuivre son activité jusqu’à 62 ans ? Et à cette aide à domicile de 62 ans qui a interrompu sa carrière professionnelle pour « élever » ses enfants et doit travailler jusqu’à 65 ans malgré des pathologies d’épaules invalidantes ?

Vers une multiplication des avis d’inaptitude

Ces cas sont déjà innombrables. Si l’âge « plancher » des droits à la retraite recule encore, nous savons déjà quel devra être, faute de mieux, notre recours le plus fréquent : les avis d’inaptitude, avec licenciements à la clef, indemnités chômage puis minima sociaux – eux-mêmes de plus en plus suspendus à des conditions à remplir. La situation n’est satisfaisante, ni pour ces salariés qui ont consacré 43 années de leur vie à des métiers exigeants, ni pour leurs employeurs qui ont parfois très peu de marges de manœuvre. Nous savons très bien que notre rôle est de faire en sorte que ces situations délicates soient peu fréquentes. Et il faut pour cela agir en prévention tout au long des parcours professionnels afin d’enrayer toutes les formes de désinsertion professionnelle. Mais notre capacité d’action dans ce domaine dépend aussi de l’horizon fixé pour les fins de carrière. S’il s’éloigne, il nous sera de plus en plus difficile d’éviter que les fragilisations sociales s’accumulent.

  • 1L’observatoire Evolutions et relations en santé au travail (Evrest) est un dispositif de veille, lancé en 2008 au niveau national.