© NATHANAËL MERGUI / MUTUALITÉ FRANÇAISE
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Retraite : comment s'emparer du dispositif pénibilité

par Annie Deveaux médecin du travail, et Stéphane Vincent / avril 2011

Depuis la dernière réforme des retraites, un salarié exposé à certains facteurs de pénibilité et handicapé par les séquelles d'une maladie professionnelle ou d'un accident du travail peut partir en retraite à 60 ans. Décryptage du dispositif.

Comment partir plus tôt en retraite quand on est usé par son travail ? La réponse apportée à cette question par la dernière réforme des retraites s'est avérée très en deçà des attentes sociales. Les critères retenus pour bénéficier d'un départ anticipé en retraite en compensation d'une exposition à une pénibilité importante au travail sont effectivement très restrictifs et ne sont pas à la hauteur des enjeux. Mais les nouvelles possibilités offertes par la loi peuvent répondre aux situations de certains salariés. Et les représentants du personnel doivent pouvoir s'en saisir pour les assister dans leurs démarches.

Incapacités permanentes partielles

La loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 et ses premiers décrets d'application1 stipulent qu'un départ en retraite à taux plein sera possible dès 60 ans pour toute personne souffrant d'une incapacité permanente partielle (IPP) au titre d'une maladie professionnelle (MP) avec un taux égal à 20 %. Un salarié présentant le même taux d'IPP du fait d'un accident du travail (AT) peut également accéder au dispositif, dès lors que son accident a entraîné des lésions identiques à celles indemnisées au titre d'une maladie professionnelle. Ces lésions sont définies dans une liste. Il peut s'agir d'une intoxication aiguë, d'une maladie infectieuse et parasitaire ou de complications infectieuses, d'un accident vaccinal ou oculaire, d'une irradiation aiguë, d'une électrocution, d'un traumatisme sonore, crânien, ostéoarticulaire ou thoraco-abdominal, d'une lésion vasculaire, d'un barotraumatisme ou d'un stress posttraumatique.

Le taux d'IPP de 20 % peut être atteint par l'addition de plusieurs taux, liés à différentes atteintes, sous réserve qu'un taux au moins égal à 10 % ait été reconnu au titre d'une seule et même maladie professionnelle ou d'un accident du travail. Il est à noter que ce critère peut être rempli par un salarié victime de plusieurs troubles musculo-squelettiques des membres supérieurs ou gardant des séquelles d'un grave accident du travail.

Les choses se compliquent sérieusement quand le taux d'IPP du salarié est compris entre 10 % et 20 %. Le bénéfice de la retraite à 60 ans est alors subordonné à deux critères, plutôt draconiens. L'assuré doit apporter la preuve qu'il a été exposé pendant une durée déterminée - dix-sept ans au moins - à certains facteurs de risque professionnels : manutention manuelle de charges lourdes, postures pénibles pour les articulations, vibrations mécaniques, agents chimiques dangereux, rayonnements ionisants, activités exercées en milieu hyperbare, températures extrêmes, bruit, travail de nuit, travail en équipes successives alternantes, travail répétitif sous cadence. Ensuite, une commission pluridisciplinaire doit donner un avis positif quant au lien entre l'incapacité permanente partielle du salarié et son exposition à ces facteurs de risque.

Il est donc essentiel que les expositions soient correctement retracées dans le dossier médical du salarié. A ce titre, la loi du 9 novembre prévoit l'établissement par l'employeur de fiches d'exposition individuelles aux facteurs de pénibilité énumérés plus haut. Fiches qui doivent être délivrées aux salariés exposés lorsqu'ils quittent l'entreprise. Une copie de ces fiches doit être intégrée à leur dossier médical. Le médecin du travail devra consigner dans le dossier les effets des expositions sur l'état de santé des salariés. Le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) a également un rôle à jouer. La loi prévoit qu'il participe au suivi des expositions des salariés. Les représentants du personnel au CHSCT devront ainsi être vigilants sur l'établissement et la délivrance des fiches par l'employeur. Notamment concernant les cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques, pour lesquels une attestation d'exposition était déjà requise mais rarement mise en oeuvre.

Les salariés auront aussi tout intérêt à faire constater par le médecin du travail les atteintes à la santé qui émailleront leur vie professionnelle. La possibilité de partir en retraite à 60 ans, à condition de justifier d'un taux d'IPP de 20 %, devrait les inciter à réclamer plus systématiquement la reconnaissance de leurs atteintes à la santé liées au travail en maladie professionnelle. En toute logique, le médecin du travail sera en mesure d'établir le certificat médical initial nécessaire à cette reconnaissance, pour les atteintes qui relèvent d'un tableau de maladie professionnelle. Il le remettra au salarié et en conservera un exemplaire dans le dossier médical. Cependant, pour qu'une maladie professionnelle soit reconnue, le salarié doit être soutenu dans sa démarche. La réalité de l'exposition au risque est estimée séparément par la victime et l'employeur, chacun recevant un questionnaire à remplir. Remplir ce questionnaire seul est difficile et beaucoup de salariés renoncent à ce stade. Les représentants du personnel au CHSCT ou les délégués du personnel peuvent les aider à expliquer " comment ils travaillent " et " comment ils ont été exposés ", afin de renseigner correctement le questionnaire. Cela leur permettra du même coup d'améliorer leur connaissance des postes de travail, et donc des facteurs de pénibilité. Ils trouveront aussi éventuellement dans ce travail d'accompagnement des pistes de transformation.

Les accidents du travail devraient également faire l'objet d'une déclaration plus systématique. Aujourd'hui, nombre d'entre eux ne sont pas déclarés comme tels, notamment ceux considérés comme bénins. Or leurs conséquences peuvent se révéler plus lourdes que prévu. S'il n'y a pas de déclaration d'AT, les arrêts de travail consécutifs à l'accident seront des congés maladie ordinaires, sans que le lien avec la pénibilité du travail soit rendu visible ! Une déclaration en accident du travail permet d'attester d'emblée ce lien et de faire bénéficier la victime d'un taux d'IPP en cas de séquelles.

Mise en visibilité des atteintes liées au travail

Ce taux est fixé par le médecin-conseil de la caisse d'assurance maladie lors de la consolidation de l'état de santé du salarié, après qu'il a évalué les séquelles de l'accident du travail ou de la maladie professionnelle. Un taux d'IPP supérieur à 10 % entraîne l'attribution d'une rente maintenue jusqu'au décès de l'assuré, mais il peut surtout déterminer l'accès au dispositif de départ en retraite anticipé pour pénibilité. Il est donc important que la victime conteste le taux d'IPP attribué par le médecin-conseil, si elle le juge trop minoré au regard des séquelles.

En définitive, la prise en compte de la pénibilité dans l'âge de départ en retraite proposée par la réforme des retraites, bien que très restrictive, pourrait améliorer la mise en visibilité des atteintes liées au travail, en incitant les salariés à les déclarer en maladie professionnelle ou en accident du travail. Auparavant, seules les préretraites dans certains secteurs ou la mise en invalidité 2e catégorie, suite à une perte des deux tiers de la capacité de travail, permettaient aux salariés usés par leur travail de cesser leur activité vers l'âge de 55 ans, avec le maintien d'un niveau de ressources stable jusqu'à l'ouverture des droits à retraite. Mais en passant sous silence la responsabilité du travail dans l'usure constatée.

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    Voir article page 17 de ce numéro.

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