" Retraite pour les morts "

juillet 2010

Décidément, cent ans ne suffisent pas pour calmer certains débats. Alors que la France de 2010 se divise au sujet des retraites, celle d'il y a un siècle s'animait déjà sur la question, avec une vigueur tout aussi houleuse.

Avant d'être adopté en avril 1910, le projet de loi sur les retraites ouvrières et paysannes (ROP) initié par le gouvernement d'Aristide Briand soulève la colère d'une partie de la classe ouvrière. Et pendant de longs mois, de nombreux journaux militants et la CGT critiquent le principe de ce nouveau dispositif, assimilé à " une vaste escroquerie étatiste, dont les travailleurs feront tous les frais ". A leurs yeux, les retraites ouvrières ont le triple défaut d'être minimes, tardives et alimentées en partie par un impôt sur les ouvriers.

D'après le texte, en effet, les salariés peuvent prendre leur retraite à 65 ans et recevoir une allocation viagère de l'Etat fixée à 60 francs par an. Afin de financer celle-ci, 2 % de cotisation sont prélevés sur les salaires. Pour l'hebdomadaire révolutionnaire La Guerre sociale (27 février 1907), cette retenue est un " impôt nouveau " dont les ouvriers ne sont pas prêts de voir les retombées. Et pour cause : à 65 ans, 95 % d'entre eux seront morts. Pourtant, note L'Action syndicale (3 mars 1910), " tous paieront pour cela et, de ce chef, des milliards s'entasseront bientôt dans les coffres de l'Etat ".

Dans les rangs socialistes, l'idée de cette " retraite pour les morts " par capitalisation n'a pas que des opposants. Jean Jaurès, Edouard Vaillant et les réformistes en acceptent le principe, tout en la trouvant insuffisante. Il sera toujours temps, considèrent-ils, de modifier ce fameux système des retraites qui a fait couler tant d'encre.