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Rififi autour de la gouvernance de la médecine du travail

par Clotilde de Gastines / 26 janvier 2023

Le changement des statuts de l’association Présanse, qui représente les services de prévention et de santé au travail, a donné lieu à une correspondance tendue avec les organisations patronales.

« Vous ne prendrez pas notre place. Nous le disons à Présanse très clairement. Toutes les tentatives seront combattues durement. » Ces propos tenus par Eric Chevée, vice-président de la CPME en charge des affaires sociales, font référence au différend opposant actuellement les organisations patronales (Medef, U2P et CPME) et Présanse (ex-Cisme), association qui représente 225 services de prévention et de santé au travail interentreprises (SPSTI). Au cœur du débat : les nouveaux statuts adoptés par l’association le 14 décembre dernier, qui ne tiendraient pas suffisamment compte, selon les syndicats patronaux, du rôle qui leur a été accordé par la loi du 2 août 2021 « pour renforcer la prévention en santé au travail » en matière de pilotage de la médecine du travail.

Rappel à l’ordre

Dans ses nouveaux statuts, Présanse indique pourtant qu’elle « prend en compte les réflexions des partenaires sociaux et de l’Etat », ou encore qu’elle « intervient et travaille les questions d’intérêt et de portée nationale impactant la mise en œuvre de la mission des SPSTI (…) dans le respect des prérogatives des partenaires sociaux ». Rien d’alarmant a priori, donc. Le Medef, U2P et CPME ne semblent pas du même avis. Dans un courrier commun daté du 31 octobre, dont Santé & Travail a pu prendre connaissance, les patrons ont tapé du poing sur la table. Ils y rappellent à l’ordre Présanse, en lui indiquant que son rôle se restreint à la « gestion et animation de la convention collective des SPSTI » et au « soutien technique des représentants des employeurs au plan national (CNPST), régional (CRPST) et local (SPSTI) ».
Le Comité national de prévention et de santé au travail (CNPST), structure paritaire instaurée par la loi du 2 août 2021 et abritée au sein du Conseil d’orientation des conditions de travail, comme ses déclinaisons régionales (CRPST) joueront un rôle important dans le cadrage de l’activité des SPSTI. Afin d’échanger sur leurs positions respectives en amont des réunions de ces instances, les trois syndicats patronaux ont décidé de créer un comité pérenne de liaison, auquel ils souhaitent associer Présanse. Seul hic, Présanse ne semble pas vouloir acter l’existence de ce comité. « Il est important que Présanse le reconnaisse dans ses statuts, si l’association veut conserver son unanimité sur le champ de la représentativité des services de santé », alerte Eric Chevée. L’U2P et la CPME ont interpelé l’association sur le sujet dans un courrier du 21 novembre.

Double cotisation

Autre point litigieux, mentionné dans le même courrier, Présanse a décidé de mettre en place une double cotisation pour les entreprises, au niveau régional et national. « Il est curieux que tout SPSTI doive, pour être membre du réseau technique et opérationnel de Présanse, payer une double cotisation à l'assemblée régionale, d'une part, et à Présanse nationale, d'autre part, sans même que cette cotisation apporte la possibilité d'accéder au conseil d’administration national », écrivent les organisations patronales. En interne à la CPME, dans une lettre adressée aux antennes territoriales de son organisation, Eric Chevée le formule autrement. Il considère que la future organisation de la gouvernance nationale et régionale de l’association « ne tient pas compte de la nouvelle place attribuée aux trois organisations patronales nationales dans le pilotage de la médecine du travail ».
Le 14 décembre, Présanse a adopté ses nouveaux statuts, sans tenir compte des remarques des organisations patronales. Une fin de non-recevoir qui ne met pas un terme à la querelle. Selon nos informations, des services de santé au travail seraient sur le point de quitter l’association. Car ce conflit s’inscrit de fait dans un contexte particulier, lié à la loi du 2 août 2021. Le législateur a en effet consacré le rôle des organisations patronales dans la gouvernance des SPSTI et le pilotage de leur activité au niveau national. Avec un changement fondamental dans la désignation des membres des conseils d’administration des services. Jusqu’à présent, les administrateurs patronaux étaient des employeurs locaux, qui siégeaient très peu et laissaient les coudées franches au directeur et au président après les avoir désignés. Désormais, les candidatures aux mandats d’administrateurs devront être validées par les trois syndicats patronaux. Par ailleurs, chaque administrateur ne pourra pas cumuler plus de deux mandats consécutifs.

Assainir les pratiques

Le législateur a ainsi voulu mettre un frein aux scandales à répétition qui ont pu entaché le fonctionnement des SPSTI. La presse locale et régionale s'est ainsi fait régulièrement l’écho de cas de clientélisme ou de détournements de fonds, qu’il s’agisse d’affaires immobilières, d’emplois familiaux ou de dépenses somptuaires. « Il n’y aura plus de nomination de complaisance et ce que l’on pourrait qualifier d’emplois-réseau », se félicite Eric Chevée. Selon ce dernier, la plupart des transitions se font néanmoins « tranquillement », sauf exception dans certains services « tout feu, tout flamme ». Contactés, ni Présanse, ni le Medef n’ont répondu à nos sollicitations. L’U2P a demandé un délai supplémentaire, sans pour autant donner suite.