Rompre avec « Tina »

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© N. M./FNMF © N. M./FNMF
François Desriaux Rédacteur en chef
/ octobre 2021

Il suffit de regarder les couvertures de Santé & Travail depuis sa création, il y a juste trente ans, pour avoir un aperçu de l’évolution des risques professionnels. Un aperçu également de la capacité de notre modèle sanitaire et social à prévenir et réparer les atteintes à la santé liées au travail. Le bilan est contrasté. Si l’on peut se féliciter que le risque d’accidents du travail ait régressé, on peut se demander si cette évolution favorable tient à l’efficacité des politiques de prévention ou plutôt à la disparition de secteurs à sinistralité élevée, comme les mines ou la sidérurgie. Le BTP, où il y a eu des progrès significatifs, reste ainsi en tête des accidents, en nombre et en gravité. Et dans le même temps, d’autres pans de l’économie – le tertiaire, l’intérim, les soins et services à la personne – ont vu leur accidentologie grimper sensiblement. Cela révèle le poids des facteurs de risques organisationnels, de l’intensification, de la précarité, à l’origine également de l’augmentation continue des maladies professionnelles.
Les troubles musculosquelettiques (TMS) et les risques psychosociaux (RPS) ont envahi les colonnes de notre magazine, comme ils ont monopolisé les statistiques sur les risques professionnels, fait grimper les inaptitudes au travail et provoqué des procès retentissants. Les suicides chez France Télécom et les condamnations de ses dirigeants à des peines de prison ont eu un impact aussi fort que l’affaire de l’amiante. Mais si cette dernière a entraîné une cascade de mesures de prévention et de réparation des cancers professionnels – sans pour autant faire baisser de façon significative les expositions – rien de semblable ne s’est produit sur le front de l’organisation du travail et du management. Malgré les plans santé au travail, malgré les priorités affichées, malgré les accords multiples et variés sur la qualité de vie au travail, la prévention primaire ne parvient pas à s’imposer.
Pour en finir avec ce travail délétère, s’engager sur la voie d’un travail soutenable, dans lequel les salariés peuvent s’épanouir et monter en compétence, les employeurs devront accepter de partager leur pouvoir d’organisation. Cela veut dire revoir la gouvernance des entreprises, s’engager dans un dialogue social plus équilibré, construire des solutions avec les salariés. On en est loin. Aujourd’hui, le discours des dirigeants est celui du fatalisme, face aux conséquences nées des exigences de compétitivité : « There is no alternative » ou Tina, pour reprendre la maxime des néolibéraux depuis Margaret Thatcher. L’enjeu pour la santé au travail est bien d’en finir avec la déclinaison de ce concept dans les entreprises. La bonne nouvelle, c’est que c’est possible, comme en témoigne le dossier de ce numéro spécial.