© NATHANAËL MERGUI / MUTUALITÉ FRANÇAISE
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Saisir à bon escient l'inspecteur du travail

par Laurence Théry inspectrice du travail / janvier 2009

Les salariés et leurs représentants peuvent solliciter l'inspecteur du travail pour un conseil ou une intervention sur des problèmes de santé et sécurité au travail. A condition de préparer cette démarche.

Il est parfois bien difficile de rentrer en contact avec l'inspecteur du travail : sa ligne est toujours occupée, sa permanence est saturée... Inversement, les salariés hésitent à faire cette démarche, car elle symbolise l'ouverture d'un conflit avec l'employeur. Pour eux, elle représente même une extrémité à laquelle ils n'ont recours qu'après avoir "tout essayé". Au-delà de ce constat, la mission n'est pas impossible. Elle est même souvent très bénéfique.

Il convient tout d'abord de souligner que l'inspecteur du travail a besoin des informations que les salariés, les représentants du personnel ou les employeurs sont susceptibles d'apporter. Ces données contribuent à la bonne connaissance que les inspecteurs ont des entreprises de leur secteur. Elles constituent aussi un outil précieux pour orienter une partie des contrôles. Le message est clair : il ne faut pas hésiter à demander un rendez-vous à l'inspecteur du travail. Mais pour passer le barrage filtrant des assistantes, un certain nombre de conditions doivent être réunies. Ainsi, les inspecteurs ne reçoivent pas pour de simples demandes d'information sur le droit du travail, qui seront orientées vers le service de renseignements. Il faut donc poser un problème que seul l'inspecteur est en capacité de résoudre. Il peut s'agir, par exemple, d'heures de travail non payées, d'une situation dangereuse qui ne serait pas prise en compte par l'employeur, ou encore d'un mauvais fonctionnement des institutions représentatives du personnel, comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) en tête.

 

Plaintes sans portée

 

Ces problèmes peuvent être relayés par un simple salarié, un élu du personnel ou un délégué syndical. Dans tous les cas, les inspecteurs sont tenus à la confidentialité des plaintes, en vertu d'une convention de l'Organisation internationale du travail (OIT). Cela signifie qu'ils ne peuvent pas faire mention, lors d'un contrôle ou d'un courrier, de l'origine de la plainte et donc du nom du salarié. C'est une obligation déontologique qui ne souffre aucune exception. Pourtant, elle peut se révéler problématique dans certaines affaires, notamment en cas de harcèlement moral ou de discrimination. Comment intervenir si l'on ne peut pas évoquer le cas précis de Mme Dupont ? Cette confidentialité est levée quand le salarié accepte d'écrire à son employeur, en mettant l'inspecteur du travail en copie. Mais c'est loin d'être monnaie courante : en règle générale, les salariés ou même les élus du personnel n'osent pas affronter leur employeur directement, notamment dans les petites entreprises, et la mention "copie à l'Inspection du travail" est souvent interprétée par les directions comme une déclaration de guerre. Il n'est donc pas rare que les salariés exposent leur cas à l'inspecteur du travail, tout en le priant de ne pas intervenir. La plainte complète le dossier de l'entreprise, mais l'inspecteur a le sentiment d'avoir un peu perdu son temps, car il ne peut pas utiliser facilement les informations qui lui ont été livrées. Ces situations sont de plus en plus fréquentes : les salariés viennent vider leur sac de souffrance, laissant chacun dans une relative impuissance. L'inspecteur ne peut alors que conseiller le salarié, l'orienter vers le médecin du travail et les représentants du personnel, qui sont chargés de porter collectivement les problèmes individuels.

 

Priorité aux représentants du personnel

 

Les représentants du personnel ont en effet un rôle spécifique vis-à-vis de l'inspecteur du travail. Le Code du travail leur attribue la mission de saisir l'inspecteur en cas d'inobservation de la réglementation sociale, inclues les conventions collectives. Cette mission est particulièrement importante dans les entreprises de moins de 50 salariés, dépourvues de CHSCT. Il revient alors au délégué du personnel de saisir l'inspecteur si les règles de sécurité ne sont pas respectées, s'il n'y a pas d'évaluation des risques professionnels pour la santé, ou encore si les salariés ne disposent pas des équipements de protection indispensables (gants, lunettes, etc.).

Certains inspecteurs donnent une priorité aux rendez-vous avec les représentants du personnel, car ils posent un problème qui concerne un collectif de personnes, alors que le salarié apporte une plainte individuelle. Il ne faut pas perdre de vue que l'Inspection du travail a une mission centrale de contrôle et qu'il revient au conseil de prud'hommes de régler les litiges individuels. Les inspecteurs considèrent, sans doute à juste titre, que la plainte doit servir à alimenter le contrôle.

Une fois le rendez-vous pris, il est nécessaire de le préparer, afin d'en tirer le maximum. Il faut se demander ce qu'on en attend précisément, rassembler des documents et toutes informations permettant de faciliter le contrôle. Venir à plusieurs au rendez-vous peut se révéler utile, car cela donne du poids à la démarche et l'assurance qu'il y aura des relais dans l'entreprise, gage d'efficacité du contrôle.

En matière de santé au travail, les élus au CHSCT ont un lien particulier avec l'inspecteur. En fonction de leur demande, ils peuvent obtenir plusieurs types d'intervention. Dans certains cas, il s'agira d'un simple conseil, par exemple sur le recours à un expert ou sur le positionnement des élus face au document unique d'évaluation des risques. Dans d'autres, l'inspecteur rédigera un courrier rappelant à l'employeur les règles en matière de fonctionnement de l'instance (respect des délais de convocation, communication du bilan et programme annuels de prévention...), voire dressera un procès-verbal pour entrave qui pourra déboucher sur une plainte pénale.

Membre de droit du CHSCT, l'inspecteur du travail est à ce titre invité à chaque réunion trimestrielle. Mais, surchargé, il n'est que très rarement disponible... sauf si les élus le sollicitent expressément. Sa présence peut en effet s'avérer percutante à certains moments stratégiques ou venir appuyer une démarche impulsée par les élus. Par exemple, de nombreuses entreprises refusent d'inscrire les risques psychosociaux dans le document unique. La présence de l'inspecteur au CHSCT peut être une bonne occasion d'ouvrir le débat entre l'employeur et les élus, afin d'initier, avec l'appui du médecin du travail, une démarche de prévention des atteintes à la santé mentale.

 

Relation de confiance

 

Enfin, la demande peut être celle d'un contrôle pour faire cesser une situation grave : une exposition à des produits toxiques, une machine dangereuse, des intérimaires mis au poste de travail sans formation renforcée à la sécurité, une organisation du travail qui génère des troubles musculo-squelettiques... Dans ce cas, la demande des élus faite à l'inspecteur est de s'investir dans la durée pour contribuer à l'amélioration des conditions de travail et du dialogue social dans l'entreprise.

Ajoutons que l'employeur peut saisir l'inspecteur du travail lorsqu'un droit d'alerte d'un membre du CHSCT débouche sur un désaccord quant à la réalité du "danger grave et imminent" ou quant aux mesures appropriées pour le faire cesser. Il est plus que recommandé de contacter l'inspecteur en amont sur l'effectivité du danger grave et imminent (cette notion étant assez encadrée juridiquement), afin de ne pas s'engager dans une démarche qui risquerait d'être invalidée par l'inspecteur.

Entre les élus au CHSCT et l'inspecteur, c'est une relation de confiance qu'il faut établir. Il ne s'agit ni d'instrumentalisation ni de soutien, mais d'une articulation efficace entre les missions et le positionnement de chacun. Avec un peu de finesse, il est même possible aux élus d'obtenir l'adresse électronique de l'inspecteur du travail !