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« Salariés et managers doivent pouvoir parler du travail réel »

entretien avec Michel Sailly, ergonome, conseiller à la CFDT et contributeur au laboratoire d’idées La Fabrique de l’industrie.
par Stéphane Béchaux / juillet 2022

Dans un ouvrage collectif (voir A lire), vous appelez les entreprises à promouvoir le dialogue professionnel en leur sein. De quoi s’agit-il ?
Michel Sailly : Dans l’entreprise, on parle très peu, voire pas du tout, de la question du travail. Dans l’entreprise, on produit des normes, des process, des organigrammes, des circuits de décision, des outils de reporting et même des accords sociaux mais on ne discute pas du travail réel, des situations de travail au plus près du terrain. Ce qui génère des dysfonctionnements, des problèmes de qualité, de santé ou de sécurité au sein des collectifs de travail. Nous voulons donc appeler les entreprises à mettre en place des espaces de discussion pour que les salariés et leurs managers de proximité puissent parler de la réalité de leur travail.

C’est une démarche qui concerne aussi les élus du personnel…
M. S. :
Ce devrait être une responsabilité partagée mais en France, on en est très loin. Pour des raisons certes culturelles mais aussi très matérielles. Les militants sont accaparés par toutes les tâches qui incombent aux instances de représentation du personnel. Cette institutionnalisation du dialogue social ne permet pas de faire vivre un quelconque dialogue professionnel au sein de l’entreprise. Il est donc nécessaire que les travailleurs et leur encadrement direct s’emparent de la question et que le dialogue social s’ouvre sur cet enjeu.

Ce dialogue professionnel a-t-il beaucoup de partisans dans les entreprises ?
M. S. :
Tout le monde trouve l’idée bonne. Mais les freins sont multiples. Du côté des syndicats, on craint que de tels espaces de discussion servent pour les directions à les contourner. Et du côté des directions, on considère que le travail et son organisation relèvent des prérogatives de l’employeur et de ses représentants, et que les salariés n’ont pas à s’en mêler. Quant aux cadres, ils craignent que de telles discussions les mettent en difficulté. Pour que les échanges aboutissent à des améliorations, il faudrait qu’ils disposent d’une réelle marge d’autonomie. S’ils ne peuvent prendre la moindre décision sans remonter vers les étages supérieurs, cela ne peut pas marcher.

Et pourtant, il y aurait un intérêt certain à parler du travail…
M. S. :
Qui mieux que les salariés, au contact des usagers, des clients, des patients, peut dire ce qu’il se passe vraiment sur le lieu de travail ? Ils sont forcément les mieux placés pour raconter ce qu’il s’y joue, expliquer ce qui fonctionne ou pas. Le dialogue professionnel direct peut permettre d’instaurer une démarche de progrès continu, ce qui va rendre l’entreprise apprenante. De tels espaces d’échange n’enlèvent rien au travail des syndicats, qui gardent toute leur place pour discuter des projets collectifs de transformation portant sur les organisations ou les technologies.

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