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Des salariés vieillissants à bout de souffle ?

par François Desriaux / 18 janvier 2023

Selon une étude, de nombreux salariés, en particulier chez les ouvriers et employés, doutent de leur capacité à rester au travail en lien avec leur état de santé, notamment autour de la soixantaine. De quoi interroger le projet actuel de recul de l’âge légal de départ en retraite.

Après 60 ans, la moitié des ouvriers et des employés doutent que leur état de santé leur permette, à horizon de deux années, de poursuivre leur travail actuel. C’est là un des tout premiers résultats d’une étude en cours – auxquels notre magazine a eu accès –, fondée sur des données de l’observatoire Evrest (lire Repère ci-dessous), dispositif de veille et de recherche en santé au travail. L’étude porte plus précisément sur une question introduite début 2022 dans le questionnaire rempli par les salariés dans le cadre de l’observatoire : « Pensez-vous que dans deux ans votre état de santé vous permettrait d’effectuer votre travail actuel ? » Cette question a été ajoutée en lien avec les objectifs de prévention de la désinsertion professionnelle qui incombent désormais aux services de prévention et de santé au travail. Elle s’avère aussi d’une grande actualité, alors que la nouvelle réforme des retraites prévoit un allongement de la vie de travail.

Un graphique édifiant

Le graphique ci-dessous retranscrit les réponses de 2 000 salariés ayant dépassé les 45 ans, en fonction de leur tranche d’âge et de leur catégorie socioprofessionnelle. Et il s’avère particulièrement éclairant.

Tout d’abord, il faut noter le niveau élevé des taux de réponses négatives à la question posée – « non, sans doute pas » –, ou de réponses incertaines : « Ce n’est pas sûr. » Et ce, même vers la mi-carrière. Or, selon d’autres études, les travailleurs ont un jugement assez sûr quant à leur propre devenir. Les inquiétudes exprimées ici laissent donc présager, avec une probabilité accrue, la survenue d’incapacités à plus ou moins court terme. S’ils ne disposent pas de solution de réaffectation dans leur entreprise, les salariés concernés pourraient perdre leur emploi, avec la perspective de longues durées de chômage, fréquentes après 50 ans.
Ensuite, le graphique montre une élévation des taux de réponses négatives ou incertaines avec l’âge, jusqu’à un très haut niveau aux abords de la soixantaine. Or, c’est exactement cette population qui se trouve visée par le projet actuel de relèvement de l’âge légal de départ en retraite. Les salariés qui seraient appelés prochainement à prolonger leur parcours professionnel sont donc nombreux aujourd’hui à douter de leur capacité à y arriver.

Inégalités sociales

Enfin, des inégalités sociales importantes sont mises en visibilité par ce graphique. Le pronostic négatif ou incertain s’exprime beaucoup plus chez les ouvriers et employés que chez les professions intermédiaires (techniciens, contremaîtres…) et les cadres. Autrement dit, il concerne d’abord des salariés qui n’ont pas fait de longues études, qui ont commencé tôt à travailler… et qui seraient directement impactés par une hausse de l’âge légal, puisque aujourd’hui ils peuvent déjà partir en retraite à 62 voire 60 ans, disposant déjà d’un nombre suffisant d’années de cotisations.
Ces différents constats, parmi bien d’autres, confortent une nouvelle fois l’idée que la santé au travail est un enjeu majeur dans toute réforme des retraites. Ou devrait l’être.

Repère
  • L'observatoire Evrest (pour Evolutions et relations en santé au travail) a été créé en 2008 et s’appuie sur un questionnaire, élaboré par un réseau d’équipes médicales en santé au travail dans l’ensemble de la France. Pour en savoir plus, aller sur le site evrest.istnf.fr.