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Sale temps pour les saisonniers !

par Martine Rossard / 26 juin 2020

Les travailleurs saisonniers étrangers de l’agriculture font les frais de l’épidémie de Covid-19. A cause de conditions de vie et de travail d’un autre âge qui leur sont imposées au mépris de la réglementation et des mesures de protection.

Ils sont le nouveau visage des victimes de la pandémie. 258 saisonniers étrangers ont été déclarés positifs au Covid-19 dans les Bouches-du-Rhône, 56 dans le Vaucluse, 78 dans le Gard. La découverte de foyers de contamination a incité les autorités à un dépistage massif parmi les travailleurs détachés des exploitations agricoles. Qui a mis un coup de projecteur sur les conditions d’hébergement et de travail indignes, imposées aux salariés de l’entreprise de travail temporaire espagnole Terra Fecundis. Elles ont conduit la CFDT à assigner, le 22 juin dernier, en référé, devant le tribunal judicaire de Tarascon (Bouche-du-Rhône), la société hispanique et neuf entreprises locales. Si le syndicat a été débouté, faute de témoignages directs de victimes qui ont peur des représailles, il continue de dénoncer « des règles de santé et de sécurité des salariés totalement bafouées ».

Mise en garde des autorités

Outre le manque criant de fourniture d’eau potable, les syndicalistes ont constaté que les mesures de distanciation actuellement imposées dans les lieux de travail, les transports et les hébergements n’étaient pas appliquées ; dans ces derniers, on compte jusqu’à quatre personnes dans un espace de 15 m2. Et difficile de s’étonner de la propagation de l’épidémie dans le secteur, alors que les travailleurs testés positifs n'étaient pas placés à l’isolement et que personne ne disposait d’équipement de protection individuelle (EPI). Quant aux gestes barrières, ils ne sont évidemment pas respectés.
Jean Yves Constantin, militant CFDT dans l’agroalimentaire, s’interroge d’ailleurs sur l’arrivée de centaines de travailleurs venus d’Espagne alors que les frontières étaient fermées. Pourtant, signale un observateur, les cars de la société d’intérim – les « Terra bus » – ne passent pas inaperçus. Malgré les mises en garde des autorités et des professionnels, de nombreux exploitants ont encore recours à cette entreprise espagnole, à la réputation pourtant sulfureuse mais aux tarifs compétitifs. Sa main d’œuvre, majoritairement sud-américaine, est connue pour être dure à la tâche et peu revendicative. Pourtant, les pressions de leur employeur et la crainte de perdre leur emploi n’ont pas empêché quelque 6 000 saisonniers de se faire dépister. Résultat : des taux de positivité allant jusqu’à 8 ou 9 % quand ils tombaient partout à moins de 5 % en France métropolitaine.
A partir de la mi-juin, des structures permettant l’isolement des travailleurs ont été mises à disposition. Et le préfet des Bouches-du-Rhône, Pierre Dartout, a annoncé des mesures pour les nouveaux arrivants : contrôle qualité de l’hébergement, attestation de négativité au Covid-19 et quatorzaine obligatoire. De plus, la fermeture de certains lieux accueillant les saisonniers et le raccordement au réseau d’eau potable ont été ordonnés. Des approvisionnements en vivres et médicaments ont été organisés auprès de salariés quasiment laissés à l’abandon pendant des jours. Selon Ingelbord Bonté, de l’union départementale CGT des Bouches-du-Rhône, « des travailleurs ont été séquestrés, à peine ravitaillés, privés de travail et de salaire, les uns dans la partie reléguée d’un camping, d’autres dans un mas insalubre ».

« Travail dissimulé en bande organisée »

Terra Fecundis compte plus de 500 clients, exploitants agricoles, en France où elle a réalisé l’an dernier 53 millions de chiffre d’affaires. Son activité stable et durable dans l’Hexagone depuis 2011 aurait dû la contraindre à recruter ses salariés, sous contrat de travail de droit français et avec une couverture sociale française. L’entreprise, ayant passé outre ces dispositions, est donc poursuivie, ainsi que cinq exploitants agricoles gardois, pour « travail dissimulé en bande organisée » après les constatations effectuées par l’unité du Gard de la Direccte1 d’Occitanie, entre 2016 et 2019. Les fédérations de l’agroalimentaire CFDT, CGT, FO et CFE-CGC sont parties civiles dans cette procédure qui aurait dû passer en jugement le 5 juin dernier. Mais en raison de la crise sanitaire, l’audience a été ajournée à mars 2021. Une année supplémentaire d’impunité, alors que l’épidémie fait courir des dangers graves à ces salariés précaires. Et que l’Inspection du travail n’a pas la possibilité d’ordonner l’arrêt de l’activité, comme dans certains secteurs à risques.

 

 

  • 1La direction régionale des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l’Emploi