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La santé au travail à la trappe des ordonnances Macron

par Alexia Eychenne / 20 janvier 2022

La disparition des CHSCT au profit d'une instance unique de dialogue social, le CSE, s'est traduite par une moindre place consacrée à la santé et à la sécurité au travail au sein des entreprises. C’est ce que montre le dernier bilan de la réforme de 2017.

Crise sanitaire oblige, « les sujets de santé et sécurité au travail ont trouvé au sein du CSE – ou dans les CSSCT [commission santé, sécurité et conditions de travail, NDLR] quand elles existent – une importance nouvelle » depuis 2020, constate le rapport sur les ordonnances Travail de 2017, publié fin décembre. Une note encourageante que le comité d'évaluation, présidé par Marcel Grignard (ex-CFDT) et Jean François Pilliard (ex-Medef), nuance aussitôt : si le Covid a poussé un grand nombre d'entreprises à reconsidérer les risques professionnels à la lumière de la pandémie, les autres sujets de santé au travail passent au contraire largement au second plan depuis le déploiement de la réforme.
Première raison : la baisse du nombre d'instances dédiées. Le CSE, unique outil de dialogue social, a récupéré les attributions du CHSCT, qui était obligatoire dans les structures de 50 salariés et plus. Une CSSCT peut être mise en place par accord, mais elle ne s'impose qu'aux entreprises de plus de 300 salariés. Dans ces dernières, « l’obligation de créer des CSSCT en remplacement des CHSCT se vérifie de façon croissante mais pas encore totale : au moins 73,4 % des entreprises passées au CSE disposent en 2019 d’une CSSCT, constate le rapport, alors qu'en 2017, sur l’ensemble des entreprises de 300 salariés ou plus, 92 % disposaient d’un CHSCT ». Un rattrapage a toutefois pu avoir lieu les années suivantes ; les experts invitent à attendre fin 2022 pour « vérifier si la baisse de couverture des salariés est avérée ».

Perte de proximité aggravée par le télétravail

Par ailleurs, la commission couvre un champ plus étendu. « Nous sommes passés de 13 CHSCT en 2018 à 6 CSSCT pour le même périmètre, illustrait Hélène Bouix, déléguée syndicale CFDT chez IBM, lors d'une conférence de presse début janvier. La proximité avec les salariés devient très difficile, surtout dans le contexte du télétravail. » Les représentants de proximité – nouvelle fonction imaginée par les ordonnances de 2017 – qui pourraient compenser l'éloignement, n'existent que dans moins de 5 % des entreprises. Et lorsque c'est le cas, « leur mission est mal définie, ils ont très peu de moyens spécifiques et en général aucune formation à la santé, sécurité et conditions de travail », souligne le rapport. Résultat, « le passage du CHSCT à la CSSCT représente une perte de pouvoir et d’autonomie » et « impose aux élus de solliciter le CSE pour voir les sujets pris en compte ».
En théorie, il appartient au CSE de s’occuper de la santé, en l'absence d'une commission dédiée. Dans les faits, ces enjeux « sont noyés dans l’ordre du jour des plénières » et « de plus en plus souvent négligés, relégués en fin de réunion », indique l'évaluation. Un phénomène aggravé par le manque de formation des représentants du personnel. Une étude menée dans des PME a montré que, faute de spécialisation, de connaissances et parfois d'intérêt, « le traitement de ces questions de santé et sécurité reste difficile pour les élus ». Et les auteurs de préciser que celui-ci reste « souvent formel, technique, normatif et simplement dans une logique informative descendante, sans qu’une réflexion soit menée sur les situations de travail et l’organisation de celui-ci ».

Un retour en grâce du CHSCT ?

Les experts en concluent qu'il « convient de se reposer la question » sur la manière d'appréhender la santé au travail dans les entreprises. Les syndicats font des propositions. « Nous demandons l'obligation de mettre en place des représentants de proximité, avec deux jours de formation santé, sécurité et conditions de travail », plaide Philippe Portier, secrétaire national CFDT en charge du dialogue social, qui souhaite aussi qu’une CSSCT soit obligatoire à partir de 50 salariés. La CGT, de son côté, veut recréer une instance dédiée, avec un « droit de véto suspensif pour toute décision jugée dangereuse pour la santé et la sécurité des travailleurs », ainsi qu’un droit d'enquête et d'expertise renforcé, selon une note confédérale. Ce « CHSCT » bénéficierait à tous les salariés, notamment « la majorité des travailleurs, ceux des TPE-PME, qui n'étaient déjà pas couverts avant les ordonnances », détaille Jérôme Vivenza, secrétaire national CGT en charge de la santé au travail.
Pas sûr que le ministère du Travail ait les mêmes intentions : il exclut de revenir sur sa réforme par la voie législative, mais a transmis aux partenaires sociaux une ébauche de « plan d'accompagnement ». Au menu, des « ateliers de sensibilisation sur les sujets santé, sécurité et conditions de travail », un « référentiel de compétences » à destination des membres du CSE, ou la proposition « d'analyser les conditions justifiant la mise en place d’une CSSCT ou de représentants de proximité », sans plus de précisions. Ces axes seront discutés lors de réunions avec les partenaires sociaux sous l'égide de la direction générale du Travail.