La santé au travail, droit de l'homme et du citoyen

par Martine Rossard / juillet 2010

Peut-on parler de droits de l'homme sans parler de citoyenneté dans l'entreprise ? Celle-ci passe par le droit à la santé au travail, soutient-on à la Fédération de Paris de la Ligue des droits de l'homme, qui a organisé en mai un débat sur ce thème.

Peut-on sauver le travail ? Placée en exergue des 4es Rencontres du livre et de la presse des droits de l'homme, cette question a fait l'objet de nombreux échanges lors de cette manifestation, que la Fédération de Paris de la Ligue des droits de l'homme (LDH) organisait dans la capitale les 22 et 23 mai dernier. Parmi les angles abordés figurait la santé au travail, à laquelle un débat a été consacré. " Nous nous sommes saisis de la question de la santé au travail dans la mesure où elle est liée aux droits sociaux des citoyens ", commente Anne Tardieu, présidente de la LDH de Paris.

" Cette préoccupation sur les droits sociaux remonte au début du siècle dernier et s'est imposée ces dernières années comme une absolue nécessité au vu des transformations du monde du travail ", renchérit Jean-Pierre Dubois, président de la LDH nationale. Ce militant n'en veut pour preuve que le développement du stress et la multiplication des suicides au travail, dans un contexte de recul des mobilisations et des luttes. " L'individualisation du travail fait peser sur les salariés des contraintes qui auparavant étaient gérées collectivement ", souligne-t-il. La LDH propose de " réintroduire une voix collective ", afin de parvenir à un équilibre entre performance économique et performance sociale des entreprises. Et suggère d'imputer aux entreprises le coût de l'" insécurité sociale " générée par l'intensification du travail ou les restructurations, facteurs de risques psychosociaux eux-mêmes contraires à la productivité.

Au cours du débat intitulé " Le travail peut nuire gravement à la santé ", Alain Carré, médecin du travail en retraite, a fustigé les nouvelles organisations et ce qu'il a décrit comme leurs visées essentielles : intensifier le travail, individualiser les salariés et leur faire intérioriser les objectifs de l'entreprise. Avec une tendance à rendre chaque travailleur " client " d'un autre travailleur, transformant ainsi les rapports sociaux en " rapports commerciaux "

Précaires sacrifiés. Claude-Emmanuel Triomphe, de l'Association travail, emploi, Europe, société (Astrees), a évoqué les atteintes provoquées par les restructurations et constatées à la fois chez les salariés licenciés et chez les " rescapés ". Citant le rapport européen Hires1 , dont il est coauteur, il a rappelé que chaque restructuration impliquait des coûts collatéraux dus à la dégradation de la santé des " survivants " (impact négatif sur la productivité, hausse du turn-over et des arrêts maladie). Il a par ailleurs dénoncé le " consensus social " qui sacrifie les jeunes, les seniors et les migrants ou, plus généralement, les travailleurs précaires. Pour Dominique Lhuilier, de la chaire de psychologie du travail du Cnam, la sous-activité ou l'absence de travail peuvent être plus délétères que des conditions de travail dégradées ou la suractivité. Elle a déploré à ce sujet l'absence de médecine du travail pour les demandeurs d'emploi. Et elle a alerté sur " l'empêchement " de mouvement ou d'activité, source d'atteintes à la santé, que vivent de nombreux " placardisés " et détenus.

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    Le rapport Hires est disponible sur www.astrees.org. Voir aussi Santé & Travail n° 67, juillet 2009, page 26.