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Santé au travail : un programme syndical ambitieux

par Joëlle Maraschin / avril 2022

Sollicitées par Santé & Travail à la veille des échéances électorales, les organisations syndicales affichent leurs priorités en matière de santé au travail.  De la réduction de la pénibilité au retour des CHSCT, les chantiers sont nombreux. Demandez le programme !

Alors que les élections présidentielle et législatives ouvrent la voie à une nouvelle mandature, quels seraient les chantiers prioritaires à mettre en œuvre concernant la prévention des risques professionnels ? Santé & Travail a souhaité poser la question aux syndicats. De fait, la plupart sont encore mobilisés par la mise en application de la loi du 2 août 2021 « pour renforcer la prévention en santé au travail », prévue le 31 mars 2022, qui se traduit par l’examen d’une cinquantaine de décrets. Pour rappel, cette loi transpose un accord national interprofessionnel (Ani), conclu le 9 décembre 2020 par les partenaires sociaux, à l’exception de la CGT et des organisations syndicales non conviées aux discussions : FSU, Unsa et Solidaires.  
« Notre priorité pour l’heure est de veiller à ce que les décrets soient le parfait reflet de la loi et de l’Ani », souligne ainsi Serge Legagnoa pour Force ouvrière.  De son côté, la CFDT regrette que des dispositions de l’Ani, notamment sur la prévention primaire et la qualité de vie et des conditions de travail (QVCT), soient absentes de la loi. « Les questions autour du sens et de la qualité du travail, du pouvoir d’agir des salariés, n’ont pas été pas transposées », pointe Catherine Pinchaut, qui entend porter ce débat au cours de la prochaine mandature. Autre priorité pour FO, la responsabilisation des branches professionnelles, éludée dans la loi alors que les entreprises de moins de 300 salariés n’ont pas l’obligation d’installer des commissions santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT).  « Nous souhaitons rendre obligatoires des instances de discussion paritaires au niveau des branches sur la santé au travail », précise Serge Legagnoa.
L’Unsa, qui aurait signé l’Ani si elle avait été invitée, craint que cet accord ne soit dévoyé par les décrets à venir. « Les projets de décrets dont nous avons connaissance sont alarmants », s’inquiète Dominique Corona de l’Unsa. Ce dernier s’étonne du report de la visite de reprise consécutive à un arrêt à soixante jours après le retour au poste de travail, contre trente jours actuellement.
A côté de ce chantier en cours, les organisations syndicales souhaitent des évolutions du droit, afin de garantir la traçabilité des expositions professionnelles. La loi du 2 août 2021 prévoit que les documents uniques d’évaluation des risques (DUER) soient archivés pendant quarante ans sur un portail dédié, géré par les employeurs. Une avancée insuffisante pour Jérôme Vivenza, de la CGT : « Les données en santé au travail devraient être conservées et gérées par la Sécurité sociale, pour permettre la mise en œuvre d’une politique de santé au travail ».  

Mieux tracer les expositions aux risques

La CGT demande que toutes les expositions professionnelles soient tracées, et pas seulement celles qui dépassent les valeurs limites. La CFTC souhaite aussi s’atteler à la prévention et à la traçabilité du risque chimique, lequel concerne près d’un tiers des salariés. « Il est urgent de mettre en œuvre l’ensemble des préconisations du rapport Frimat sur la traçabilité du risque chimique », affirme Pierre-Yves Montéléon de la CFTC.  
Les expositions aux agents chimiques dangereux, de même que les vibrations mécaniques, les manutentions de charges et les postures pénibles, ont été retirées en septembre 2017 du compte professionnel de prévention (C2P), formule allégée du précédent compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P). Le C2P permet à un salarié d’accumuler des points au cours de sa carrière, pour se former et accéder à des postes moins pénibles, bénéficier d’un temps partiel, voire partir plus tôt à la retraite. Une réponse partielle aux enjeux de soutenabilité du travail. « Nous souhaitons réintroduire les quatre risques supprimés », revendique Catherine Pinchaut.  
L’UNSA est sur une ligne similaire : « Un couvreur aura du mal à exercer son activité jusqu’à 60 ans. Cela devrait être de la responsabilité de l’employeur d’assurer la transition professionnelle », considère Dominique Corona. La CFTC est aussi favorable à un retour du C3P, élargi à d’autres risques. Pierre-Yves Montéléon plaide par ailleurs pour un changement de paradigme : « L’aptitude d’un poste de travail à ne pas atteindre la santé d’un salarié » devrait guider les évolutions réglementaires en santé au travail. Non satisfaite du C2P, la CGT demande également l’ouverture d’une négociation globale sur la pénibilité.  

Aménager le temps de travail

La réduction du temps de travail est un autre levier pour améliorer les conditions de travail et de vie des salariés, défendu par la CGT et Solidaires. La première a relancé en octobre dernier sa campagne en faveur de la semaine des 32 heures. Pour sa part, Solidaires compte finaliser pour l’été son action « Partageons le travail ». « Les questions autour du sens du travail, de la qualité du travail ou encore de l’égalité dans le travail seront au cœur de notre initiative », explique Didier Aubé de Solidaires.  
Soucieuse de redonner du « pouvoir d’agir » aux travailleurs sur la gestion de leur temps, la CFDT milite de son côté pour la création d’une « banque des temps », un compte épargne temps universel. Ce dispositif, qui concernerait les salariés du privé, les agents de la fonction publique et les travailleurs indépendants, permettrait la portabilité des droits pour concilier vie personnelle et vie professionnelle. « L’abondement de ce compte universel devrait être plus important pour celles et ceux qui n’ont pas d’autonomie dans leur travail », détaille Catherine Pinchaut.  
Les organisations syndicales souhaitent également mettre à l’agenda un chantier sur la prévention des risques psychosociaux (RPS). « Nous avons beaucoup de mal à avancer sur ces risques dans les entreprises et les branches. C’est la vie privée des salariés qui est convoquée plutôt que leurs conditions de travail », observe Serge Legagnoa. Catherine Pinchaut regrette elle aussi le « tabou » autour des effets du travail sur la santé psychique, alors même que la crise sanitaire en a montré l’importance.  
La prévention des « risques psychiques et organisationnels » est d’ailleurs la priorité de la CFE-CGC. « Nous avons porté la notion de QVCT dans l’Ani et la loi. Reste à savoir comment cela sera mis en musique », se demande Anne-Michèle Chartier pour la confédération de l’encadrement. Celle-ci revendique une reconnaissance en maladie professionnelle du burn-out et des pathologies cardiovasculaires liées à la surcharge de travail, en vue d’inciter les entreprises à la prévention. « Les maladies professionnelles des cadres mais aussi leur souffrance au travail ne sont pas prises en compte », constate Anne-Michèle Chartier. Sur la prévention des accidents du travail, notamment graves et mortels, le dispositif annoncé par le gouvernement dans le cadre du quatrième plan santé au travail est loin de répondre aux enjeux, selon la CGT. « L’essentiel de ce plan repose sur la formation des jeunes, sans s’attaquer aux vrais problèmes comme l’organisation et les rythmes de travail », déplore Jérôme Vivenza.  
En alternative, la CGT avait proposé de partir de cas concrets d’accidents mortels pour effectuer une analyse de leur arbre des causes. Une proposition refusée par le patronat, selon la confédération. La CGT et Solidaires préparent pour fin avril une mobilisation commune et un manifeste sur le sujet. « Des milliers de salariés sont blessés, mutilés et décèdent chaque année d’un accident de travail », rappelle Didier Aubé…  

Sauver ou ressusciter les CHSCT

Enfin, concernant les instances représentatives en charge de la santé au travail, les syndicats souhaitent le retour de CHSCT aux compétences élargies dans le secteur privé. Mais aussi leur maintien dans la fonction publique. Ces instances vont en effet y disparaître à la fin de cette année. Une disposition contestée de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique. « Ces réformes surplombantes ne sont jamais pensées sous l’angle de l’amélioration des conditions de travail et de la qualité du service public », se désole Hervé Moreau pour la FSU. Comme dans le privé, il est prévu d’instituer une commission spécialisée en matière de santé, sécurité et conditions de travail, au sein des futurs comités sociaux issus de la fusion des instances. « En cas de restructurations, seuls les comités sociaux seront saisis. Or ces comités n’auront pas les moyens de demander une expertise externe », regrette Hervé Moreau.  
Les syndicats de la fonction publique réclament aussi davantage de moyens pour la santé au travail. Un renforcement du rôle des inspecteurs de santé et sécurité au travail (ISST), par exemple. « Nous souhaitons qu’ils acquièrent un pouvoir coercitif et que leur nombre soit augmenté », déclare Hervé Moreau. Les médecins du travail ou de prévention sont aussi trop peu nombreux pour assurer le suivi médical des agents.  « C’est une vraie carence fautive de l’Etat », dénonce Bruno Chaniac de Solidaires Fonction publique.

« Considérer les dépenses de prévention comme des investissements »
entretien avec Hélène Garner, directrice du département Travail, emploi, compétences de l’agence publique France Stratégie.
Joëlle Maraschin

France Stratégie a publié fin 2021 un cahier consacré à la soutenabilité du travail et aux politiques publiques en santé au travail, dont vous avez copiloté l’élaboration. Quels devraient être, selon vous, les axes d’une politique visant   cette soutenabilité ?   
Hélène Garner
: Nous avons besoin de construire des politiques publiques transversales, qui intègrent les cinq dimensions de la soutenabilité du travail : conditions socioéconomiques, conditions de travail, enjeux de santé, équilibre entre temps de travail et de non-travail, satisfaction au travail. Autre priorité : faire de la prévention la matrice des politiques publiques de santé. L’un des leviers est de considérer les dépenses de prévention comme des investissements pour la performance globale de l’entreprise, dépenses qui seront amorties en termes d’absentéisme, de turn-over, de qualité du travail et de vie au travail.  

Quel bilan faites-vous des plans santé au travail (PST) ?  
H. G. : Les PST sont l’expression d’une volonté forte de faire de la santé au travail un objectif de politique publique. Malgré un bilan globalement positif depuis vingt ans, la politique de santé au travail connaît un essoufflement ces dernières années, du fait de la croissance de certaines maladies professionnelles, notamment les troubles musculosquelettiques, et de phénomènes de sous-déclaration et de sous-reconnaissance. De plus, les inégalités sociales de santé restent extrêmement fortes, avec une espérance de vie en bonne santé qui reste très dépendante de l’activité professionnelle exercée. Les objectifs du PST 3 couvraient bien les principaux enjeux de la santé au travail. Le manque de moyens et d’indicateurs de suivi n’a pas toujours permis d’évaluer l’ensemble des actions.   

Votre cahier pointe des risques émergents pour la santé des travailleurs. Sont-ils suffisamment anticipés ?   
H. G. : Ces nouveaux dangers interrogent à la fois le périmètre des risques professionnels mais aussi les modalités d’intervention publique pour les prévenir. Certains sont liés à des mutations organisationnelles et technologiques : contrats très courts, travail à distance, fragmentation des horaires… Les processus d’externalisation de l’activité et de développement de la sous-traitance s’accompagnent aussi d’une plus grande exposition aux risques professionnels des salariés des petites entreprises. Il y a aussi les risques environnementaux. L’impact sur la santé des travailleurs des épisodes climatiques extrêmes ou de la pollution est aujourd’hui bien documenté. Mais ces dangers externes à l’entreprise heurtent la logique de la politique de santé au travail, construite autour de la traçabilité de la responsabilité. Leur anticipation par les pouvoirs publics et les entreprises doit aller de pair avec une réflexion sur les moyens de faire travailler ensemble différents domaines : santé au travail, santé environnementale et santé publique.

A LIRE
  • « Quels défis pour une politique de santé au travail plus soutenable ? », Les cahiers des soutenabilités n°4, France Stratégie, novembre 2021.