" Se mettre à l'écoute des aides-soignantes "

par Nathalie Quéruel / octobre 2010

Suspectées de maltraitance, les aides-soignantes en gériatrie souffrent du contrôle de leur hiérarchie et des familles de patients. La psychologue Pascale Molinier suggère de " construire de la confiance, en comprenant les enjeux du travail soignant ".

Vous avez réalisé une enquête sur les toilettes " difficiles " effectuées par les aides-soignantes dans des structures pour personnes âgées. En quoi l'analyse de leur travail donne-t-elle un nouveau regard sur les risques de maltraitance dont elles sont souvent soupçonnées ?

Pascale Molinier : Les notions de " maltraitance " et de " bientraitance " peuvent être trompeuses. Ce dernier concept, défendu par les établissements de façon certes légitime, désigne surtout un arsenal de techniques managériales : formation, charte, évaluation de l'excellence, etc. Pour se prémunir du risque de maltraitance et rassurer les familles, dans le même esprit qu'une démarche qualité, les établissements exercent un contrôle et une vigilance sur les soignantes. Mais cela est déconnecté des problèmes réels de travail. Car quand on observe le terrain mouvant des pratiques, tout semble plus ambigu. A chaque situation particulière correspond le bon geste. Mais quel est-il ? Un simple exemple : une aide-soignante n'avait pas mis ses chaussons à une personne en fauteuil roulant, à sa demande. En tenant compte de l'avis de la patiente, elle était dans la logique du soin. Mais cela a été interprété par les proches comme une négligence.

Est-ce une des principales difficultés rencontrées par les soignantes dans leur travail ?

P. M. : L'hypercontrôle suspicieux des familles est une source de souffrance au travail exprimée par les aides-soignantes. Ajouté à l'absence de reconnaissance de leur savoir-faire, il crée un climat d'insécurité, le personnel ayant le sentiment de pouvoir être pris en défaut à tout moment. Loin de moi l'idée d'accabler les proches, qui vivent souvent dans la culpabilité d'abandonner un parent à des mains étrangères et qui n'ignorent pas le soupçon global de maltraitance qui pèse sur les soignants. Sur le plan institutionnel, il faudrait donc penser la prise en charge de l'angoisse des familles et organiser leur relation avec les soignantes, afin de permettre une coopération, un " partage " de la fonction soignante dans le respect des responsabilités de chacun. Dès lors, la valorisation du travail soignant devient un enjeu important.

Qu'est-ce que cela implique en termes de formation ?

P. M. : Il ne s'agit pas tant de former davantage les aides-soignantes que d'apprendre d'elles, en se mettant à l'écoute de ce qu'elles ont à dire sur leur travail. Elles expriment notamment une souffrance que provoque chez elles la manipulation des corps douloureux des vieillards. Les formations qui proposent des méthodes de toilette sans faire mal sont des mensonges commerciaux. Elles s'avèrent sans doute indispensables, mais ne règlent pas tout. Les familles souhaitent, par exemple, voir leurs proches dans des tenues classiques, mais habiller des corps rétractés avec des vêtements aussi peu adaptés leur fait mal. Avec les personnes très dépendantes, les soignantes font face à des défis qui impliquent des solutions inédites, correspondant à chaque patient. Et il y a un travail bien fait qui échappe à la visibilité, notamment parce que le soin a besoin d'intimité. En lieu et place du contrôle, les établissements doivent construire de la confiance, en comprenant les enjeux du travail soignant, en tenant compte des difficultés quotidiennes. Mais la reconnaissance d'un savoir-faire passe par un préalable : le respect de ceux qui le font. Or on peine aujourd'hui à considérer que des travailleurs subalternes puissent être experts dans leur domaine, et encore plus quand il s'agit de femmes, issues de classes populaires, voire de l'immigration, comme le sont les aides-soignantes.

En savoir plus
  • " Apprendre des aides-soignantes ", par Pascale Molinier, Gérontologie et Société n° 133, juin 2010.