© Daniel Maunoury
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Pour une Sécu à la rescousse des conditions de travail

entretien avec Jean-François Naton, vice-président du Cese
par Joëlle Maraschin / octobre 2019

Dans son livre Pour d'autres jours heureux, Jean-François Naton, vice-président du Conseil économique, social et environnemental (Cese), insiste sur la nécessaire réforme des services de santé au travail, qu'il verrait bien rejoindre la Sécurité sociale.

Vous dressez, dans Pour d'autres jours heureux. La Sécurité sociale de demain (Editions de l'Atelier), un constat accablant des dégâts causés par les organisations et les conditions de travail. Comment expliquez-vous cet échec en matière de santé au travail ?

Jean-François Naton : Ce constat est largement partagé. L'explosion des maladies professionnelles et le niveau élevé des accidents du travail restent un problème majeur dans notre pays. Une grande partie des inégalités de santé et d'espérance de vie sont le fruit de ce "mal-travail". Il y a une prise de conscience collective de l'ampleur de ce désastre humain et économique. Des préconisations pour cheminer vers des solutions ont été faites ces dernières années par les partenaires sociaux, notamment dans le troisième plan santé au travail. Mais nous sommes dans l'incapacité de mettre en oeuvre ce que nous avons nous-mêmes décidé. La gouvernance des services de santé au travail est l'élément d'empêchement. Ces associations, dont le budget colossal est géré par une partie du patronat, ont mis leur veto à toute transformation. Nous avons pourtant le devoir de nous interroger sur l'efficience de ce système et de revoir son organisation. En 2008, Christian Dellacherie, militant CGT et conseiller du Conseil économique, social et environnemental, a proposé l'intégration des services de santé au travail au sein de la Sécurité sociale. Dans l'intérêt général, ce débat doit avoir lieu.

Autre thème qui vous est cher : la prévention des risques professionnels. Comment l'améliorer ?

J.-F. N. : Tant que notre système se basera sur une logique de réparation, on ne s'en sortira pas. Les milliards d'euros utilisés pour réparer des dégâts qui pourraient pourtant être évités sont un non-sens économique. Le budget de la branche risques professionnels de la Sécurité sociale est excédentaire, il est tout à fait possible de conjuguer une meilleure réparation due aux victimes du "mal-travail" et la promotion d'une politique de prévention. D'autant que nous avons la capacité financière pour accompagner les transformations nécessaires. C'est aussi une proposition du rapport Lecocq, lequel est venu valider un grand nombre de travaux de certaines organisations syndicales, même si nous n'avons pas le même point d'atterrissage sur la place de la Sécurité sociale. Ce rapport reprend la nécessité d'organiser des services de proximité sous forme de guichet unique. Il ne reste plus qu'une question : quand ?

Vous proposez de mettre en place des "maisons du travail et de la santé". Pour quoi faire ?

J.-F. N. : Il est temps d'en finir avec les politiques de silo et de travailler différemment la réponse aux besoins des populations. Ces maisons du travail et de la santé, en écho aux revendications entre autres exprimées sur les ronds-points de France, seraient des lieux d'accueil et d'écoute permettant d'offrir une prise en charge globale. L'ensemble du monde du travail pourrait ainsi avoir accès à une palette de services : visites médicales, accompagnement administratif, permanences en lien avec les enjeux de santé au travail et environnementaux, mise à disposition d'outils en matière de prévention. Afin de garantir leur accessibilité sur tout le territoire, ces maisons seraient des services publics.