© Joparige Films / Schuch Productions
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Le sens du travail passe à la télé

par Corinne Renou-Nativel / 27 avril 2021

Dans le documentaire « Vive le travail ! », diffusé sur Arte à partir du 27 avril, une série de portraits rend compte d’un monde professionnel toujours plus dégradé. Avec, en contrepoint, des initiatives malgré tout encourageantes.

Pour comprendre les métamorphoses du travail, donner la parole à ceux qui les vivent peut se révéler plus percutant que bien des chiffres. Dans Vive le travail !, documentaire en deux volets de 55 minutes1 , la réalisatrice Marianne Lère brosse le portrait de huit femmes et hommes français, allemands et britanniques, aux situations professionnelles éclairantes par leur diversité. « Ils incarnent des problématiques comme la sous-traitance, les discriminations et le travail à la demande, explique-t-elle. J’ai aussi voulu montrer à quel point, malgré la dégradation des conditions de travail, chacun se bat pour trouver du sens. » Dans l’intimité de ces récits transparaissent espoirs et impasses, souffrance et inventivité. S’y dessinent aussi les choix politiques et les partis pris économiques que décryptent des experts comme l’économiste Thomas Coutrot, le philosophe Alexis Cukier, les sociologues Sarah Abdelnour et Delphine Serre.

Une précarité pesante

Le premier volet, intitulé « Un éternel combat », suit le parcours de personnes en butte à une forte adversité. Technicien audiovisuel de formation, Raphaël, 60 ans, né au Cameroun, s’est résigné à devenir bagagiste pour une compagnie aérienne, faute d’emploi ; désormais, il oriente les voyageurs sur les quais du métro parisien pour 1 752 euros bruts par mois, avec un humour et une érudition rares. Un exemple permettant à Alexis Cukier de souligner la division raciale du travail, qui assigne à des emplois peu reconnus et valorisés des personnes racisées.
La destinée professionnelle de Vincent, 42 ans, semble avoir toujours été chaotique : CDD de journaliste dans la presse locale et vacations de surveillant dans un lycée, avec dans les deux cas un plafond de six années au-delà duquel ses employeurs devraient pérenniser son emploi. Il complète son maigre salaire de pion par des articles sur internet, payés en droits d’auteur à des tarifs indécents. « Des secteurs séduisants comme le journalisme ont la possibilité d’embaucher avec des statuts précaires, tandis qu’avec la révision générale des politiques publiques (RGPP), l’Etat limite ses recrutements pour laisser place au marché, commente Sarah Abdelnour. Comme au XIXe siècle, avant l’adoption du Code du travail, des embauches au jour le jour font payer aux travailleurs le prix de l’incertitude économique. »
Les deux autres portraits de ce premier volet s’attachent à des hommes entrés en résistance. Issu d’une famille pauvre, Frank est en charge à Berlin d’un centre d’aide aux chômeurs financé par l’Eglise protestante, où il constate la paupérisation croissante en Allemagne. Homme de ménage originaire d’Equateur, Henry a fondé en Grande-Bretagne un syndicat des travailleurs précaires, pour l’essentiel des immigrés employés par des entreprises sous-traitantes. « Une initiative d’autant plus remarquable que ces derniers n’ont souvent pas de temps ni d’espace collectifs pour construire une démarche syndicale », rappelle Alexis Cukier.

L’essentiel sentiment d’utilité

Le second volet, « Et l’humain dans tout ça ? », suit trois femmes accomplies dans leur activité professionnelle. Employée d’un service d’aide à domicile, rémunérée 1 600 euros net par mois en fin de carrière, Annie conseille des familles, souvent des mères isolées, dans leur difficile apprentissage du rôle parental. Même si elle se sent parfois impuissante devant la misère sociale des usagers, elle se réjouit de son utilité. « Cette conscience compense les mauvais salaires de ces métiers qui se situent dans le prolongement de compétences féminines acquises dans la sphère domestique », relève Delphine Serre.
L’Allemande Christin et la Française Lise, toutes deux confrontées au sexisme, se sont reconverties. La première a quitté les cabinets d’avocats pour devenir le bras droit du directeur d’un hôtel. Son rôle : prendre en charge le bien-être des trente-cinq salariés. Après un burn-out dans une grande entreprise, la seconde, ingénieure agronome, est devenue agricultrice : elle cultive du miscanthus, une plante aux nombreuses vertus écologiques. Un changement de paradigme dont Thomas Coutrot souligne la pertinence : « Passée de la logique de guerre – objectifs dans une entreprise sous pression – à une logique du “care’’ – soin à la nature et à l’écosystème –, Lise est représentative de beaucoup de jeunes qui renoncent à des carrières plus prestigieuses et rémunératrices pour trouver du sens à leur travail. »
Le documentaire s’achève sur Will, un Britannique de 30 ans, qui a été professeur de philosophie à l’université. Obligé de prendre des emplois alimentaires pour compléter ses revenus de vacataire, il a cessé d’enseigner. Autonomy, le think tank qu’il a fondé depuis, mène des études pour repenser le travail et contribuer à faire enfin advenir le « monde d’après ».

  • 1Diffusé sur Arte le 27 avril à partir de 22h20 ; disponible sur le site de la chaîne jusqu’au 23 octobre.