Services de santé au travail : rendement exigé pour les IPRP

par Eric Berger / avril 2011

Non seulement la pluridisciplinarité peine à se mettre en place dans les services de santé au travail, mais les intervenants en prévention des risques professionnels (IPRP) se voient soumis à une exigence de productivité. Quitte à brader la qualité.

Huit ans après leur instauration, les intervenants en prévention des risques professionnels (IPRP) cherchent toujours à asseoir leur pratique dans les services de santé au travail. Un colloque sur la pluridisciplinarité en santé au travail, organisé le 1er février à Paris par la Société d'ergonomie de langue française, a rappelé le flou qui entoure leur fonction. Définie par un décret du 24 juin 2003 comme complémentaire à l'action des médecins du travail, leur mission est très large : les IPRP participent, dans un objectif exclusif de prévention, " à la préservation de la santé et de la sécurité des travailleurs et à l'amélioration des conditions de travail ". Certains IPRP sont habilités, d'autres non.

Licencié pour insuffisance professionnelle

S'ils sont le plus souvent ingénieurs hygiène et sécurité, psychologues, ergonomes ou toxicologues, les IPRP donnent pas moins de cent appellations différentes lorsqu'il leur est demandé d'identifier leur métier. " La convention collective de 1976, modifiée en 1991, mentionne des emplois de technicien en métrologie ou en ergonomie, des intitulés déconnectés du réel ", précise Fabien Parise, ancien intervenant devenu consultant. Sans véritables repères auxquels ils peuvent se référer, les IPRP se définissent surtout par leur pratique professionnelle. Non sans difficultés. La collaboration entre ces métiers et la médecine du travail ne va pas de soi. " La réponse passe par un engagement des acteurs dans une démarche commune de construction d'actions collectives, afin de rendre effective la pluridisciplinarité ", soutient Arnaud Desarménien, président de l'Association française des intervenants en santé au travail (Afist).

Corrélat de la logique commerciale et concurrentielle des services, un autre problème, plus préoccupant, menace la pratique de ces salariés non protégés : celui de n'évaluer leur activité qu'à l'aune de critères quantitatifs, au risque de dénaturer le sens de leur mission. Une menace qui est devenue concrète pour Bernard Bibes. En janvier 2009, cet ergonome a été licencié pour cause réelle et sérieuse par le service de santé au travail Simetra, à Bayonne (Pyrénées-Atlantiques). Le motif ? Le service a jugé que les 28 interventions effectuées annuellement par Bernard Bibes étaient insuffisantes par rapport aux 7 600 entreprises adhérentes. Or, pour mener à bien sa mission de compréhension et de transformation du travail, un ergonome doit analyser la demande, saisir le contexte de l'activité et des enjeux, formuler un diagnostic, construire des solutions, accompagner leur mise en oeuvre et évaluer les résultats. Les interventions réalisées à la va-vite ne permettent pas d'aborder efficacement les situations complexes, où santé au travail et performances de l'entreprise sont imbriquées. Salariés et employeur, tout le monde est alors perdant.

Un maximum de vingt interventions par an

Les interventions les plus courtes - diagnostics du réseau de l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact), actions de l'Agefiph pour le maintien de l'emploi des personnes handicapées - sont en général supérieures à cinq jours sur le terrain, suivis d'au moins cinq jours de traitement. Sauf à vouloir standardiser l'ergonomie et remettre en question la qualité du travail, il est impossible de réduire le temps de l'intervention. " Les ergonomes consultants effectuent rarement plus de cent jours-terrain dans l'année ", souligne François Daniellou, directeur du département d'ergonomie de l'université Bordeaux 2. Soit un maximum de vingt interventions par an.

Cette tendance à demander plus d'interventions aux IPRP ne devrait pas s'inverser. Dans un contexte de pénurie de médecins du travail et de réforme de la gouvernance des services, ces professionnels de la prévention risquent d'être de plus en plus concernés par une gestion comptable.