© Adobe Stock
© Adobe Stock

Silice cristalline : des failles dans la prévention

par Catherine Abou El Khair / 10 mars 2023

Le réseau européen sur la silice, instance paritaire, a élaboré des « bonnes pratiques » pour préserver la santé des salariés travaillant au contact de ce minéral. Mais on sait peu comment les entreprises les appliquent, alors que la réglementation sur les seuils d’exposition n’est pas assez protectrice.

Au sein de la société Fulchiron, qui exploite des gisements de sables siliceux, trois salariés atteints de silicose ont vu leur pathologie reconnue en maladie professionnelle en 2020 et 2021. « On paie l’inaction du passé », relate Chantal Hubert, directrice qualité, sécurité et RSE de cette PME qui a dû reprendre de zéro sa politique de prévention concernant la silice. Pas facile : « On ne peut ni éliminer le risque, ni trop le réduire », explique Chantal Hubert. A défaut de pouvoir investir dans certaines protections collectives, « on a fait le choix de déployer des masques », ajoute-t-elle
Ce témoignage, donné à l’occasion d’un séminaire qui s’est tenu en février dernier à l’initiative de Nepsi, le réseau européen de la silice, illustre les failles qui demeurent concernant la prévention des expositions à la silice cristalline. Or ce minéral est utilisée dans de nombreux secteurs d’activité, de la métallurgie aux industries extractives en passant par la construction. Inhalé sous forme de poussière, il provoque des maladies comme la silicose mais aussi des cancers. Ce risque a conduit l’Union européenne à classer la silice cristalline alvéolaire dans la liste des substances cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR) en 2017. Directive qui a été transposé en droit français en 2020, avec une application à partir du 1er janvier 2021.

Guides et formations en ligne

C’est dans ce contexte que Nepsi redouble d’efforts en communication sur la prévention des risques associés à la silice. Rappelons que ce réseau paritaire réunit, depuis 2006, d’un côté la fédération syndicale européenne IndustriaALL (représentant les salariés de la métallurgie, de la chimie, des mines, du verre et du textile) et de l’autre, quinze associations sectorielles d’employeurs (voir cet article de Santé & Travail). Le réseau entend diffuser ses « bonnes pratiques », élaborées dans le cadre d’un dialogue social : autant de guides pédagogiques, formations en ligne, protocole simplifié de mesurage à destination des entreprises.
Mais la question est bien : qu’en font ces dernières ? « Il ne suffit pas d’avoir des outils, il est nécessaire de voir comment ils sont perçus et utilisés », a reconnu Sylvain Lefebvre, ex-secrétaire général adjoint d’IndustriALL, invité au colloque. Pour Christelle Monier, déléguée santé et politique industrielle de la Fédération chimie-énergie de la CFDT, « Nepsi n’a pas les ressources pour vérifier ce qui se passe réellement sur le terrain ». Un point de vue que partage Serge Journoud, conseiller de la Fédération CGT des travailleurs de la métallurgie : « Ce sont des syndicats d’employeurs qui adhèrent à Nepsi. Donc nous n’avons pas de visibilité sur l’efficacité des bonnes pratiques dans les entreprises qu’ils représentent ». Le syndicaliste salue tout de même la démarche : « C’est l’occasion de remettre sur la table la question de l’exposition à la silice, qui sort des esprits ».

Des concentrations dans l’air trop importantes

La situation est d’autant plus préoccupante que, selon l’enquête Sumer1 de 2017, environ 358 000 salariés travailleraient au contact de la silice sous ses diverses formes. De plus, entre 23 000 et 30 000 d’entre eux seraient exposés à des concentrations dans l’air supérieures à la valeur limite d’exposition (VLEP), estime l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses). Laquelle ne doit pas dépasser 0,1 mg/m3 sur huit heures. Et encore, « la VLEP n’est pas suffisamment protectrice », a insisté Henri Bastos, le directeur scientifique santé-travail de l’Agence, lors du séminaire. Dans une expertise collective publiée en 2019, l’Anses préconisait déjà de revoir à la baisse les VLEP.
Mais l’Etat, attentiste, n’a pas suivi son avis. Présent au colloque, Jérémy De Saint-Jores, chef du pôle risques chimiques et agents biologiques à la direction générale du Travail (DGT), s’en est expliqué, indiquant que la Commission européenne doit publier cette année une étude d’impact envisageant une division par deux de la valeur d’exposition de la silice cristalline alvéolaire. Rien n’empêche cependant les pouvoirs publics de devancer la quatrième révision de la directive CMR, qui prendra du temps.

Le danger banalisé

D’autant que les entreprises ne manquent pas de se plaindre des contraintes qui pèsent sur elles, notamment le mesurage annuel des expositions à la silice. Une source de coûts qui fait grincer des dents. S’y ajoutent ceux des équipements de protection collective, qui « demandent aussi parfois un peu d’expertise technique », souligne Franck Meunier, directeur de la gestion des risques industriels d’Imerys. Ce groupe minier vient d’élaborer un protocole imposant une ventilation et la captation des poussières à la source. Mais ses sites, comptant entre 35 et 50 salariés et donc peu d’encadrants, « n'ont pas les ressources pour appliquer ce type de protocole, si on ne les aide pas ».
Du côté des salariés, on constate aussi des difficultés. « Dans les TPE et PME, on sait qu’il n’y a pas forcément le bon équipement face au risque », estime Christelle Monier. Spécialisée dans les emballages en verre, l’entreprise Verallia a installé des cabines de dépoussiérage pour les opérateurs : « Le problème, c’est que quand les gens vont dedans, ils ne mettent plus de masque », constate Christian Ambrosino, électricien. Qui poursuit : « En 33 ans de carrière, je n’ai eu qu’une seule formation sur la silice, ce qui est regrettable. Quand on travaille avec tous les jours, on banalise le danger. » C’est pourquoi, en matière d’exposition à des substances dangereuses, la réglementation constitue le rempart le plus solide.

  • 1Surveillance médicale des salariés exposés aux risques professionnels.