© Nathanaël Mergui/Mutualité française
© Nathanaël Mergui/Mutualité française

Solidaires mutualise savoirs et expériences

par Nathalie Quéruel / avril 2017

Une Petite Boîte à outils en ligne, une permanence pluridisciplinaire. Ces récentes initiatives résument l'ambition de la commission santé et conditions de travail de l'Union syndicale Solidaires : partager réflexions et actions pour armer les résistances.

Elle s'appelle modestement "la Petite Boîte à outils" (BAO), mais elle est d'une grande richesse. Une des dernières initiatives conçues par la commission santé et conditions de travail de l'Union syndicale Solidaires est un site Internet mis en ligne fin novembre dernier. Une arme moderne pour donner à tous, militants et salariés, les moyens de transformer les conditions de travail : "Notre objectif est de rendre accessible une information souvent dispersée, un matériau de base pour que chacun puisse préserver sa santé au travail, explique Eric Beynel, porte-parole de Solidaires et membre de la commission. Il s'agit aussi de mettre en visibilité les luttes menées sur le terrain qui peuvent être exemplaires." Parmi elles, la bataille engagée par quelques salariés de la coopérative agroalimentaire Triskalia, en Bretagne, pour faire reconnaître comme maladie professionnelle leur intoxication aux pesticides. Un webdocumentaire décrit le travail syndical de Solidaires accompli à leurs côtés, la construction d'un combat collectif, les moyens utilisés pour parvenir à la réparation du préjudice subi. Et il lève l'omerta sur les pesticides. Webdocs sur l'Inspection du travail et le lean management, vidéos de conférences proposées en intégralité et sous forme de résumés de quelques minutes, fiches pratiques sur les cancers professionnels, l'expertise CHSCT, la réforme de la médecine du travail, ou encore la pénibilité... la BAO est bien garnie. Elle montre que la protection de la santé des salariés et l'amélioration des conditions de travail sont devenues pour Solidaires un enjeu de premier plan, tout autant que l'emploi.

Rompre l'isolement des militants

L'histoire a commencé en 2008, au congrès de Saint-Jean-de-Monts, en Vendée. Les syndicats respectifs de France Télécom (où a été créé l'Observatoire du stress et des mobilités forcées), du Technocentre Renault, de la Caisse d'épargne (où une grande enquête sur le travail a été réalisée) et des Douanes mettent au coeur des débats la santé au travail. Secrétaire général de Solidaires Douanes, Eric Beynel fait alors remonter ce qui se passe dans son secteur : "Nous constations une importante dégradation des conditions de travail et une perte de sens du travail, dues autant au manque de moyens qu'aux nouvelles techniques d'organisation du travail."

La commission santé et conditions de travail de l'Union Solidaires en 4 dates
  • 2008 : création de la commission santé et conditions de travail de Solidaires.
  • 2011 : premier numéro d'Et voilà..., bulletin d'information diffusé par la commission.
  • 2016 : états généraux de la santé des travailleurs, les 16 et 17 mars ; en novembre, lancement du site la Petite Boîte à outils (http://la-petite-boite-a-outils.org/).
  • 2017 : en janvier, ouverture de la permanence conditions de travail et santé à la bourse du travail de Paris ; journée d'étude et de mobilisation à l'initiative du Collectif pour la santé des travailleuses et des travailleurs.

Pour rompre l'isolement des militants, le besoin de mutualiser la réflexion et l'action se fait ressentir. Il se traduit par la mise en place d'un lieu pouvant rassembler l'ensemble des syndicats et des fédérations : la commission santé et conditions de travail. "Mettre en commun les expériences et les savoirs pour construire des outils utiles aux équipes syndicales, tel est le but de la commission, résume Michèle Rault, syndicaliste Solidaires Finances publiques à Saint-Malo (Ille-et-Vilaine). La dimension interprofessionnelle en santé au travail apporte beaucoup." Afin de sonder les besoins du terrain, deux journées de réflexion, intitulées "Et voilà le travail", sont organisées en mars 2010. Près de 500 personnes sont présentes, bien au-delà des 200 participants attendus. Cet état des lieux constituera la feuille de route des travaux entrepris par la commission dans les années qui suivent. Et sera le point de départ du développement et de la diversification des formations en santé et travail, qui réunissent syndicalistes du privé et du public.

"Créer un cadre unitaire"

La commission se rassemble une fois par mois. Autour de la table, entre dix et vingt membres, selon les disponibilités de chacun, s'attaquent à un ordre du jour chargé. On prépare le sommaire d'Et voilà..., le bulletin d'information sur la santé et les conditions de travail lancé en octobre 2011. Une dizaine de numéros sont publiés chaque année, maintenant tous répertoriés sur le site de la BAO. Le contenu du journal est varié, avec une veille sur la jurisprudence, l'actualité des actions syndicales, des comptes-rendus de colloques ou d'études, la tribune libre d'un expert, chercheur ou avocat, une rubrique internationale... La réunion est aussi l'occasion d'actualiser les fiches-outils. Ces derniers temps, avec les lois Macron, Rebsamen et El Khomri, il y a eu beaucoup à faire ! On réfléchit par ailleurs aux "chantiers" qui alimenteront la Petite Boîte à outils : un projet est en cours sur l'amiante ; un webdoc devrait relater le futur procès de France Télécom et retracer la bataille menée dans cette entreprise, avec des focus sur d'autres secteurs, comme La Poste, où des salariés font grève pour dénoncer leurs conditions de travail ; une journée de réflexion sur l'impact de la numérisation sur le travail est prévue. Les membres de la commission préparent également une prochaine campagne interprofessionnelle sur les troubles musculo-squelettiques.

Avec le Collectif pour la santé des travailleuses et des travailleurs, une étape supplémentaire est franchie pour construire un mouvement plus ample. On y trouve, entre autres, l'Association Henri Pézerat, l'Association nationale de défense des victimes de l'amiante, la Fnath (Association des accidentés de la vie), les médecins et les inspecteurs du travail CGT, Attac, la Fondation Copernic, l'Association des experts agréés et intervenants auprès des CHSCT (ADEAIC). "Pour résister à l'offensive contre les instruments de protection des salariés, à savoir le CHSCT, la médecine du travail, l'Inspection du travail, nous voulions créer un cadre unitaire fédérant associations, syndicats, experts et militants, précise Eric Beynel. Suite à notre appel "Pour ne plus perdre sa vie à la gagner !", les Etats généraux de la santé des travailleuses et des travailleurs de mars 2016 ont rassemblé plus de 500 personnes1 Pour Michèle Rault, "dans la rencontre entre militants et chercheurs - sociologues, économistes, ergonomes, toxicologues... -, il y a matière à élargir la réflexion et à renouveler l'action".

Pour preuve, la permanence pluridisciplinaire conditions de travail et santé, ouverte début janvier. Se tenant le premier vendredi de chaque mois à la bourse du travail de Paris, elle est animée par des membres du Collectif qui en ont eu l'idée. "Ceux qui viennent sont des salariés qui souhaitent sortir de leur isolement ou partager leurs difficultés, ainsi que des syndicalistes qui cherchent un soutien pour répondre à un problème, témoigne l'un des animateurs de la permanence, Pascal Vitte, secrétaire Sud PTT du CHSCT d'un centre d'appels de France Télécom. Nous ne sommes pas là pour leur donner des recettes toutes faites, mais pour les orienter et les aider à trouver leur propre réponse. Nous n'agissons pas à leur place."

"Davantage en position de lutte"

Le travail de la commission a-t-il changé les choses sur le terrain ? Eric Beynel le croit : "Il y a dix ans, les équipes étaient plus désemparées, leurs actions manquaient de cohérence. Elles sont à présent davantage en position de lutte, même si les attaques récentes contre les droits collectifs des salariés compliquent leur tâche." Selon Pascal Vitte, il y a aujourd'hui une récupération institutionnelle de la souffrance au travail qui, sous couvert de qualité de vie au travail, risque de détourner les équipes syndicales de l'essentiel : la prévention des risques organisationnels à la source. "Il est donc indispensable, soutient-il, de diffuser massivement et inlassablement ce point de vue afin que les militants ne se laissent pas enfumer par une rhétorique managériale habile."

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    Lire "Des états généraux contre les risques professionnels", Santé & Travail n° 94, avril 2016.