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Stations de ski : une montagne d’accidents du travail

par Eliane Patriarca / 03 mars 2022

Chute à ski, décès lors de l’utilisation d’explosifs pour le déclenchement d’avalanches, écrasement par des dameuses… Les stations de ski sont le théâtre de nombreux accidents du travail, parfois graves. Les syndicats demandent plus de prévention.

Six accidents mortels sur les pistes de ski françaises depuis début janvier. Cette série noire a relancé le débat sur les risques d’une activité de loisirs qui compte 10 millions de pratiquants et recense en moyenne 10 morts chaque année, selon Domaines skiables de France (DSF), la chambre syndicale professionnelle. « En revanche, personne ne parle des accidents professionnels, nombreux, qui surviennent chaque saison dans les stations de ski », regrette Olivier Tompa, préventeur à la Caisse d’assurance retraite et de santé au travail (Carsat) d’Auvergne-Rhône-Alpes et représentant CGT au Conseil d’orientation des conditions de travail (Coct). « Pourtant, dans la région, le secteur des sports de neige dispute au bâtiment la première place en taux d’accidents du travail », alerte-t-il.

Des métiers à risques

Dernier exemple en date, le 22 janvier à Val-d’Isère (Savoie), un cuisinier d’un restaurant d’altitude, qui redescendait à ski après son service, s’est tué en percutant une dameuse. Les métiers de l’or blanc sont d’abord des métiers à risques. « Le taux d’AT [accidents du travail, NDLR] est très élevé et, surtout, il stagne », déplore Pierre Scholl, responsable national de la CGT Remontées mécaniques. Lui-même est dameur pour la société exploitant les remontées mécaniques de Courchevel, Méribel-Mottaret et La Tania, en Savoie : « Sur 650 salariés, il y a 60 à 80 accidents du travail en quatre mois chaque année », précise-t-il.
Pour FO, syndicat majoritaire du secteur, cette stagnation du taux d’accidents du travail, voire son augmentation, témoigne de la « déprofessionalisation » en cours. « Dans les stations de ski, il y a une tendance généralisée à réduire la masse salariale, les effectifs permanents et à rechercher la rentabilité à outrance », dénonce Eric Becker, secrétaire fédéral FO chargé des remontées mécaniques et des saisonniers. « Les CDI qui partent ou prennent leur retraite ne sont pas remplacés. Les exploitants des domaines skiables préfèrent embaucher des saisonniers ou recourir à des contrats pour surcroît d’activité. Des personnes peu expérimentées, insuffisamment formées, qui ne sont pas assez aguerries au terrain, qui n’ont pas l’expérience des machines et appareils », constate le syndicaliste. Et ce, alors « que les risques s’accroissent avec le changement climatique : il y a de moins en moins de neige naturelle, les périodes d’enneigement sont de plus en plus courtes, la neige artificielle gèle la nuit et les plaques de glace sont plus nombreuses », prévient Eric Becker.

Un secteur accidentogène
Eliane Patriarca

Les sociétés de remontées mécaniques emploient 18 000 personnes par saison, dont quelque 3 000 permanents et une grande majorité de saisonniers au contrat reconduit chaque année. L’indice de fréquence des accidents du travail dans les stations est de 94,1 % en 2018 (85,9 % en 2017 et 103,7 % en 2016), alors que l’indice de fréquence moyen en France, tous secteurs confondus, était de 34,5 % en 2018.

Selon une étude1 réalisée en 2018 à partir des données de DSF par deux pisteurs-secouristes, leur profession est l’une des plus accidentogènes. 20 % des AT dans les domaines skiables concernent les pisteurs alors même que ceux-ci ne représentent que 12,5 % des effectifs. Parmi les causes les plus fréquentes : les déplacements à ski, la manutention, les déplacements à pied. L’utilisation d’explosifs et l’ensevelissement par avalanche sont plus rares mais souvent mortels.

Peu d’enquêtes après des accidents graves

« La question de la sécurité passe au second plan depuis la disparition des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, déplore Pierre Scholl. Avec la Carsat, nous constatons qu’il n’y a plus de suivi des AT graves ou mortels. Peu d’enquêtes sont faites et lorsqu’elles le sont, même nous, délégués syndicaux, ne sommes pas informés des conclusions. » En 2019, à Méribel-Mottaret, un employé des pistes de sa société a été écrasé par une dameuse : « Trois ans plus tard, nous n’avons aucun retour de l’enquête de gendarmerie ! La direction a mis en place des mesures de précaution immédiatement après l’accident. Mais comment faire de la prévention à plus long terme si on ne sait pas comment s’est produit l’accident, si on ignore les causes ? » La CGT Remontées mécaniques souhaite que des commissions santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT) soient rendues obligatoires dans les entreprises de moins de 300 salariés. « Elles pourraient contrôler l’état des appareils, signaler les problèmes, améliorer l’organisation du travail, la formation… », espère Pierre Scholl.

Pas de transmission des savoir-faire

Cette année, les risques ont augmenté en raison d’un plus fort turn-over. « Après une saison blanche due aux restrictions sanitaires, durant laquelle une majorité de saisonniers n’a ni travaillé ni été indemnisée, et avec une précarité aggravée par la réforme de l’assurance-chômage, le turn-over avoisine les 25 à 30 % contre 5 à 10 % habituellement, observe Antoine Fatiga, responsable régional CGT en charge des travailleurs saisonniers. Du coup, les entreprises de remontées mécaniques ont dû embaucher en urgence, il n’y a pas eu de transmission de savoir-faire, pas de formation suffisante. »
La CGT Remontées mécaniques épingle aussi la sous-déclaration des accidents du travail. « Il y a quelques années, se rappelle Pierre Scholl, une société des Pyrénées affichait un bilan parfait, accidentologie zéro ! Et pour cause : la direction demandait aux salariés de ne pas déclarer leur accident et proposait en compensation une enveloppe de jours payés ou d’heures supplémentaires. » Ces pratiques ont pris fin, selon le syndicaliste, mais « il y a toujours des pressions dans certaines entreprises pour ne pas déclarer les AT, car ça fait mauvaise presse ». L’or blanc doit rester sans tâche.

  • 1« L’accidentologie au travail chez les pisteurs », par E. Guyon et B. Monnet, Pisteur Mag n° 2, 2018.