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Stress en entreprise : la prévention fait fausse route

par François Desriaux / avril 2011

Dans quelques jours, le ministre du Travail, Xavier Bertrand, présentera un bilan mitigé des accords sur la prévention du stress dans les entreprises de plus de 1 000 salariés. Un tiers seulement des entreprises concernées a signé un accord ou engagé un plan d'action. Et les entreprises en restent encore à l'élaboration d'un diagnostic ou à des mesures d'accompagnement individuel.

Pourtant, tous les rapports sur le stress rédigés ces dernières années ont mis l'accent sur la profondeur de la crise du travail lui-même et sur la nécessité d'agir sur son organisation. Ainsi, au terme d'un important chantier d'auditions et d'analyse de la littérature scientifique, un collège d'experts a proposé six axes pour bâtir un indicateur national statistique sur les risques psychosociaux (RPS), allant des traditionnels " intensité et temps de travail ", " autonomie " et " rapports sociaux au travail " à des aspects moins classiques, comme les " exigences émotionnelles " et la " souffrance éthique "...

On peut déduire de ces travaux que la prévention des RPS requiert certes de redonner des marges de manoeuvre aux salariés, de réduire les contraintes de temps ou de rythme, de favoriser la coopération et la reconnaissance, mais que tout cela ne suffit pas. La santé mentale n'est pas qu'une question d'équilibre entre une demande à satisfaire et des efforts à fournir pour y parvenir. La prévention du stress ne peut pas faire l'impasse sur des dimensions subjectives du travail, comme celles de devoir contenir en permanence ses émotions ou d'agir contre ses valeurs morales ou professionnelles. Ce qui fait souffrir les salariés, ce n'est pas tant d'avoir trop de contraintes à gérer que de devoir renoncer à faire un travail de qualité, dans lequel on puisse se reconnaître. Et de vivre ce renoncement dans la solitude. Car de plus en plus, sous l'effet de la financiarisation de l'économie, ce qui est rentable à court terme pour une direction d'entreprise, et qui passe par la standardisation des modes opératoires, vient percuter la complexité mais aussi la richesse du travail.

Evidemment, une telle approche montre les limites des démarches consistant à appréhender les RPS comme on le fait avec les nuisances sonores ou les cancérogènes. Objectiver le risque par la mesure, comme on évaluerait des niveaux d'intensité sonore ou de concentration de toxiques dans l'air, n'a guère de sens face aux RPS. Il n'existe pas de seuil de toxicité du travail pour la sphère psychique. Difficile alors de mettre en oeuvre les principes généraux de prévention et d'éliminer le risque à sa source. Autant proposer de supprimer le travail !

Or c'est cette démarche classique qui inspire la plupart des plans d'action et des accords RPS. Les entreprises n'en finissent pas de mesurer le stress à coups de questionnaires et d'observatoires, dans le but d'établir un diagnostic partagé. Et évidemment, ça ne fonctionne pas, car ces mesures sont inopérantes pour agir sur les déterminants de la souffrance. De plus, cela entraîne les professionnels de la santé au travail comme les institutions représentatives du personnel et les organisations syndicales sur le terrain miné de la gestion du stress.

Face à cet échec, le temps est venu de sortir d'une vision épidémiologique et médico-légale de la santé mentale au travail, raisonnant par facteurs de risque. Pour comprendre le travail afin de le transformer, il n'y a pas de meilleur chemin que d'en débattre avec ceux qui le font, il n'y a pas de meilleur moyen que d'ouvrir des espaces et des temps d'expression dans les entreprises.

Stress en entreprise : ce qu'il faut retenir

avril 2011

Des négociations peu concluantes

  • Malgré l'obligation pesant sur les entreprises de plus de 1 000 salariés de négocier sur la prévention du stress, peu d'accords ont été signés. Sur les 1 300 sociétés concernées, seules 230 disposent d'un accord et 200 d'un plan d'action.
  • En outre, 70 % des accords se limitent à définir des outils pour établir un diagnostic. En matière de prévention, la plupart des mesures portent sur de l'accompagnement individuel ou de la gestion du stress. Très rares sont les accords abordant l'organisation du travail.
  • Souvent négociés dans l'urgence et au niveau national, ces accords sont parfois contestés en interne, localement, par des équipes syndicales inquiètes des dérives possibles liées à certains dispositifs. Ce qui en limite l'application. Quand ils n'essuient pas un refus unanime des syndicats, car jugés déconnectés des réalités...

Des pièges pour les acteurs de prévention

  • La logique de diagnostic partagé qui prévaut dans tous les accords peut inciter les acteurs de prévention à intégrer des dispositifs qui risquent de compromettre leur action.
  • Les médecins du travail, notamment, doivent rester vigilants sur la préservation du secret médical. Aucun dispositif, quel qu'il soit, ne les autorise à partager des données individuelles ou ce qui leur a été confié par les salariés avec la DRH, un expert ou des représentants du personnel. De même, le fait de cautionner ou de participer à des actions qui ne visent pas à empêcher toute altération de la santé du fait du travail, ou qui tendent à déléguer leur rôle à des tiers n'ayant pas les mêmes règles déontologiques, engage leur responsabilité.
  • De leur côté, les syndicats doivent notamment veiller à ne pas déposséder de leurs prérogatives les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, via par exemple la mise en place de groupes de pilotage.

Une approche inefficace, voire dangereuse

  • Le premier écueil de ces accords tient à ce qu'ils occultent presque systématiquement l'articulation entre le stress et le travail. Cet aveuglement est dû aux outils et à la définition du stress utilisés.
  • Ainsi, afin d'établir un diagnostic scientifique sur la réalité du stress, les entreprises utilisent des questionnaires conçus dans une perspective épidémiologique. Censés établir à grande échelle des relations statistiques entre des caractéristiques de l'organisation du travail et des atteintes à la santé, ces questionnaires ne permettent pas de rendre compte des situations de travail réelles vécues par les salariés.
  • Quant à la définition du stress, elle réduit ce dernier à un déséquilibre entre la perception qu'a le salarié des contraintes qu'on lui impose et celle qu'il a de ses propres ressources pour y faire face. Ce qui renvoie plus à sa personnalité qu'à son travail.
  • Or le stress vient de l'impossibilité pour le salarié de faire un travail de qualité, de la difficulté à arbitrer seul et en permanence des demandes conflictuelles entre le respect du client, sa vision du travail bien fait et les impératifs productifs qui lui sont imposés. Ce n'est pas lui qui se sent trop petit face au travail, c'est l'organisation du travail qui ne lui permet plus d'exprimer et de développer son expérience.
  • En se positionnant dans l'adaptation de l'homme au travail plutôt que l'inverse, les accords prévoient souvent des actions de dépistage ou de prise en charge psychologique des salariés les plus fragiles, ce qui les stigmatise encore plus.

Comment faire autrement

  • Négocier sur la prévention du stress ne peut se faire hors sol. La seule démarche valable est celle qui consiste à analyser le travail, afin de saisir les dilemmes que doivent affronter les salariés.
  • Et cela ne peut se faire qu'avec eux, dans le cadre d'une relation de confiance et d'espaces de discussion libres de toute pression managériale. Une démarche que des syndicalistes CGT essaient de mettre en oeuvre chez Renault, suite à une recherche-action.