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Demain, le travail

par Stéphane Vincent François Desriaux / octobre 2017

On peut toujours rêver d'un futur sans travail humain, où tout serait effectué par des robots1 . Loin de la science-fiction, la presse relate des expériences où le développement de l'intelligence artificielle laisse entrevoir cet avenir. Après tout, la voiture sans conducteur n'est plus une vue de l'esprit, ni le robot opérant de façon plus précise que le meilleur chirurgien. Mais au regard des précédentes révolutions technologiques, ce scénario n'est pas le plus probable. En revanche, l'intrusion des nouvelles technologies dans l'industrie, les services, voire l'agriculture, a déjà des conséquences sur le travail, son organisation, les statuts d'emploi et la place du travailleur dans la société. Ce progrès est loin d'être porteur, spontanément, d'amélioration des conditions de vie et de travail. Au contraire, on peut craindre une généralisation de la précarité, de nouvelles formes d'aliénation et une perte d'autonomie, risquant de rendre les arbitrages entre emploi et santé encore plus difficiles. C'est donc dès maintenant qu'il faut inventer d'autres régulations, sociales mais aussi du travail. Le modèle de l'économie de la fonctionnalité et de la coopération, qui intègre les contraintes environnementales et valorise le travail réel, offre des perspectives. Toutefois, ce sont les acteurs sociaux et politiques qui décideront de quoi le travail sera fait demain.

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    Ce dossier "spécial n° 100" a été réalisé avec le concours de l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS), en s'inspirant de son exercice de prospective sur le travail en 2040. Merci à Michel Héry et à tous ceux qui ont contribué à cette réflexion.

Le suivi médical précaire des intérimaires

par Joëlle Maraschin / octobre 2017

Le suivi médical des intérimaires et des risques auxquels ils sont exposés échappe en grande partie à l'action de la médecine du travail. Un écueil à méditer, alors que les formes d'emploi précaire tendent à se multiplier.

Comment assurer un suivi médical professionnel digne de ce nom aux salariés nomades et précaires ? A la lumière des difficultés rencontrées aujourd'hui pour assurer celui des intérimaires, il est légitime de s'interroger sur la protection de la santé de ces salariés, surtout si ce type d'emploi devait se développer à l'avenir. "Le suivi médical des intérimaires est un échec total au regard de la mission de prévention", dénonce Marie Pascual, médecin du travail, à la retraite depuis peu. Même sous-déclarés, les accidents de travail des intérimaires sont encore deux fois plus nombreux que pour les salariés stables, et ce, dans nombre de secteurs.

Main-d'oeuvre flexible, les intérimaires sont souvent affectés aux postes les plus difficiles ou dangereux, sans pour autant avoir reçu la formation adéquate puisqu'ils doivent être rapidement opérationnels. "Les intérimaires ne font pas valoir leur droit de retrait, de peur d'être écartés des fichiers des agences de travail temporaire constate Brigitte Leroyer, médecin du travail à Douai (Nord) et déléguée à l'intérim au sein du service interentreprises Pôle santé travail métropole Nord. Pour cette même raison, les maladies professionnelles sont largement sous-déclarées.

Pas d'accès au poste de travail

Loin de l'image d'Epinal du jeune en bonne santé choisissant l'intérim pour une certaine liberté, les intérimaires d'aujourd'hui n'ont souvent pas d'autres solutions de subsistance que cette forme d'emploi. Et les médecins du travail ont peu de marge de manoeuvre pour protéger ces travailleurs, parfois vieillissants ou usés, face aux travaux délétères pour leur santé. Compte tenu de la multiplicité et de la diversité des missions d'intérim pour une même personne, la législation prévoit que les attestations de suivi médical soient délivrées pour des emplois, trois au maximum, et non pour des postes de travail. "On ne peut agir de fait sur les postes de travail", précise Marie-Christine Marek, médecin du travail à Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), qui a animé un groupe de travail sur les intérimaires au sein du service interentreprises Action santé travail.

Le télétravail n'est pas exempt de risques psychosociaux

Avec l'essor des technologies de l'information et de la communication, le télétravail a le vent en poupe et pourrait devenir demain la norme pour nombre de travailleurs. S'il comporte des avantages pour le salarié (réduction des temps de trajet, moindres frais de transport, autonomie) comme pour l'employeur (économies de frais de fonctionnement, augmentation de la productivité), il n'est pas exempt de dangers. "L'écueil à éviter est de se saisir de cette évolution de l'organisation du travail sans évaluer les risques associés", souligne Sébastien Triopon, auteur d'un guide d'évaluation sur le sujet pour la Caisse d'assurance retraite et de santé au travail (Carsat) Nord-Picardie. Ce guide pointe notamment des risques psychosociaux : isolement social et professionnel accru, conflit entre vie professionnelle et vie privée, flexibilité des horaires susceptible d'entraîner une surcharge de travail, mal-être pouvant être généré par un contrôle abusif... Autre écueil : le poste de travail étant au domicile, les acteurs habituels de la prévention ne peuvent y avoir accès.

La Carsat Nord-Picardie propose une série de pistes de réflexion et de conseils destinés aux entreprises et aux salariés. "Il est nécessaire de permettre au salarié d'être acteur de sa prévention, en le formant en ce sens", estime Sébastien Triopon. Avant de préciser : "Il n'y a pas de solution unique, chaque cas est différent." La Carsat plaide ainsi pour une démarche participative, associant salariés et représentants du personnel, avant toute mise en oeuvre du télétravail.

Sandrine Caroly, professeure d'ergonomie à l'université de Grenoble, a réalisé plusieurs études sur l'activité des médecins du travail et observé qu'elle était "empêchée" lorsqu'ils étaient confrontés à des salariés précaires, comme les intérimaires. "Il s'agit d'un conflit de buts entre la fonction médicale et celle, sociale, de maintien dans l'emploi", explique-t-elle. Les praticiens évitent de signaler d'éventuelles restrictions d'aptitude ou de faire d'autres préconisations, afin que les salariés puissent continuer à travailler. "Les entreprises utilisatrices n'ont pas forcément envie de réaliser des aménagements de poste pour les salariés intérimaires", indique Brigitte Leroyer.

La traçabilité des expositions professionnelles est elle aussi difficilement réalisable. En théorie, l'agence de travail temporaire doit se renseigner sur les risques professionnels auxquels sont ou seront exposés ses intérimaires auprès de l'entreprise utilisatrice. "Mais pour des raisons commerciales, c'est loin d'être toujours fait", note Marie Pascual. En présence de risques nécessitant un suivi individuel renforcé, le médecin de l'entreprise utilisatrice doit théoriquement organiser une visite pour l'intérimaire, rappelle Marie-Christine Marek. Mais encore faut-il qu'il soit au courant que l'entreprise a embauché des intérimaires. Les médecins du travail des agences d'intérim n'ont pas non plus toujours les coordonnées de leurs confrères en charge des entreprises utilisatrices, un problème pour la transmission des informations et la coordination des interventions.

Des pistes d'amélioration

Face à ces obstacles, des services de santé au travail ont réfléchi à de nouvelles organisations. Pour éviter l'éclatement du suivi des intérimaires entre plusieurs médecins au sein du même service interentreprises, certains, comme Pôle santé travail métropole Nord et Action santé travail, se sont dotés d'équipes dédiées. A Hénin-Beaumont, Marie-Christine Marek a mis en place avec ses collègues plusieurs outils pour faciliter les transmissions d'informations vers les médecins du travail des agences d'intérim : fiches de liaison, informations des entreprises sur leurs obligations respectives... "Même si c'est difficile avec la démographie médicale actuelle, il ne faut pas se contenter des visites individuelles mais aller dans les entreprises, ne serait-ce que pour adapter nos messages de prévention à la réalité des conditions de travail", plaide Brigitte Leroyer. Ces deux services vont également démarrer une enquête de veille sanitaire auprès des intérimaires, dans le cadre de l'observatoire Evrest (Evolutions et relations en santé au travail), afin de dégager de nouvelles pistes d'action.

Mais les initiatives visant à améliorer le suivi des intérimaires, à l'instar de celle lancée par Marie Pascual dans son ancien service, restent fragiles. "Notre projet expérimental a malheureusement capoté, déplore-t-elle. Ceux qui sont aux manettes, patronat et gouvernement, ne veulent pas mettre de moyens sur l'intérim, ils se contentent d'un simulacre de suivi." Conscient de ces difficultés, le Fonds d'action sociale du travail temporaire (Fastt), organisme paritaire, souhaite impulser une dynamique collective entre les services de santé au travail. En attendant, il s'est muni d'outils (site Internet, tournées itinérantes) pour mieux informer les intérimaires en matière de santé et de sécurité au travail.