Sylvie Catala, l'inspectrice qui fait autorité

par Nathalie Quéruel / octobre 2010

Ça ne se discute pas, dit-elle : toute infraction mérite sanction. Sylvie Catala vient de raccrocher les gants à l'Inspection du travail pour contrôler l'hygiène et la sécurité à la Mairie de Paris. Mais sans laisser au vestiaire son franc-parler et sa pugnacité.

Une certaine nostalgie l'étreint, et Sylvie Catala, qui a pris le 1er juin ses fonctions d'inspectrice hygiène et sécurité à la Mairie de Paris, ne s'en cache pas : " Inspectrice du travail, c'était plus qu'un métier : une seconde peau. Je commence une autre vie, mais qui n'est pas déconnectée de la première, puisqu'il s'agit de contrôler le respect de la réglementation en santé-sécurité au travail. Cette aventure me passionne, avec la découverte d'un milieu et de ses 50 000 agents, la possibilité d'avoir une action sur le réel... malgré ma nostalgie de l'Inspection du travail ! " Il est vrai qu'elle y a passé vingt-sept ans d'une carrière bien remplie, marquée par le dossier de l'amiante et, plus récemment, celui des suicides à France Télécom. Et qu'elle s'est taillé une réputation d'excellente professionnelle, y compris auprès de ses détracteurs.

" Revaloriser les pouvoirs coercitifs "

Sylvie Catala ne s'est certes pas trompée de vocation. Fille d'un père agent au tri postal qui a fini sa vie professionnelle comme receveur des postes et d'une mère entrée comme dactylo au ministère des Finances avant de devenir contrôleuse des impôts, elle pense à devenir assistante sociale, avec l'idée de s'occuper des gens. Dans sa famille, on discute beaucoup travail, syndicalisme, justice sociale. Finalement, ses études de droit l'aiguillent vers l'Inspection du travail : " Avoir une utilité directe et un pouvoir pour imposer des choses m'a tout de suite intéressée. "

Ses premiers pas la confortent dans son choix, même si, à ses débuts et pendant encore plusieurs années, l'Inspection fait figure de parent pauvre au ministère du Travail : " L'emploi était la préoccupation dominante, pas le travail, se souvient-elle. La lecture d'un article du Monde, "Un fonctionnaire impuissant", m'avait horrifiée ! Inspecteur, c'est un métier d'autorité, et le droit du travail, un droit vivant à faire respecter. En premier lieu le droit fondamental à la santé au travail. " Dans les années 1990, le scandale de l'amiante, puis, en 2004, la mise en cause de la responsabilité de l'Etat dans cette affaire, changent la donne ; la santé et la sécurité au travail deviennent un enjeu : " Cela a fait basculer le rôle attendu des agents de contrôle, en ouvrant davantage la possibilité d'être sévère pour que les règles soient appliquées. "

Cette fonction d'autorité, l'inspectrice a tout mis en oeuvre pour l'incarner. Notamment en participant à la création de l'association L. 611-10, référence directe à l'article du Code du travail conférant aux inspecteurs la faculté de dresser des procès-verbaux. " Contrairement à l'association Villermé dont l'approche était défaitiste, nous voulions défendre la spécificité de la mission de contrôle et revaloriser les pouvoirs coercitifs, trop souvent méprisés par notre administration. " Utiliser l'arme du P-V pour faire avancer les entreprises, c'est sa tactique : " Sylvie a toujours été plus portée sur le contrôle et la verbalisation que sur le conseil aux employeurs, témoigne Jean-Louis Osvath, l'actuel président de L. 611-10. Or relever les infractions, cela demande du courage. " Une qualité que lui reconnaissent de nombreux collègues. " Elle ne cède pas, quelles que soient les pressions... qui ne viennent pas seulement des employeurs. Elle est exigeante, claire et honnête intellectuellement ", estime Martine Millot, inspectrice du travail, membre de L. 611-10.

Un point de vue solidement documenté

Mais cette attitude combative en a agacé plus d'un, notamment parmi les adhérents de Villermé, qui n'ont pas particulièrement goûté sa conception rigoriste de l'action de l'Inspection : " Elle avait un rapport schizophré­nique avec la hiérarchie et le système, juge Claude-Emmanuel Triomphe, ancien confrère, aujourd'hui directeur de l'Association travail, emploi, Europe, société. Toute initiative venant d'en haut était par nature suspecte et constituait une atteinte à l'indépendance des inspecteurs. Et elle défendait ses positions avec violence. " Un ancien de l'association affirme qu'" elle vouait de la haine à Villermé et ses projets ". Tout le monde se rejoint en tout cas pour décrire une forte personnalité - qui contraste avec une silhouette menue. " Elle est connue pour parler fort, mais quand elle défend son point de vue, c'est argumenté ", assure Hervé Lanouzière, conseiller technique à la direction générale du Travail. Jean-Louis Osvath le confirme : " On l'entend de loin. C'est une voix forte, mais pas seulement une grande gueule. Elle fait autorité, car elle sait de quoi elle parle. "

Sylvie Catala est devenue un nom de l'Inspection du travail en partie grâce à son expertise sur l'amiante : " Je suis tombée dedans au début des années 1990 et, petit à petit, je me suis documentée. J'ai contacté Henri Pézerat, un chercheur qui nous manque beaucoup aujourd'hui1 . J'ai toujours défendu la nécessité de retirer l'amiante, et pas dans n'importe quelles conditions. " Cette compétence, forgée au fil du temps et reconnue tant par ses collègues que par les préventeurs et les entreprises, en fait un des piliers des groupes de travail sur la réglementation amiante depuis 1994. Récemment, elle a été l'une des initiatrices de la campagne de mesures des fibres d'amiante en milieu professionnel que la direction générale du Travail a confiée au Syndicat du retrait et du traitement de l'amiante. " Sur les chantiers amiante, on ne mesure pas les fibres courtes et fines. Nous n'avons donc pas une image juste des expositions. Moi, je travaille avec un principe simple : on ne peut faire de la prévention efficace que lorsqu'on a bien identifié les risques. "

Avec une forme d'humilité, l'ancienne inspectrice du travail reconnaît ne pas avoir vu venir le risque psychosocial, elle qui était " sur le risque dur, physique ". Un risque nouveau auquel elle ne savait pas trop par quel biais juridique s'attaquer. " A L. 611-10, nous avons réfléchi afin de dépasser l'approche individuelle de Marie-France Hirigoyen2 . Nous avons décidé de traiter le risque psychosocial comme les autres et également sous l'angle de la sanction pénale. " En poste dans la section de Paris où se trouve le siège de France Télécom, elle hérite de la délicate enquête sur les suicides.

" La force d'aller jusqu'au bout "

" Réticente au début à s'impliquer sur le sujet des risques psychosociaux, elle a trouvé la force d'aller jusqu'au bout ", raconte Jean-Louis Osvath. En application de l'article 40 du Code de procédure pénale, elle a alerté en février dernier le procureur de la République, lui remettant un rapport accablant pour l'opérateur où sont mis en évidence les faits de harcèlement et de mise en danger d'autrui3 " Elle a su entendre les salariés, analyser les situations. Sur un terrain où elle était seule, alors que le dossier était suivi de près par le directeur général du Travail, elle a fait connaître les délits dont elle a eu connaissance. Chapeau ! ", salue Martine Millot.

Sylvie Catala n'en tire pas fierté, tant elle s'est sentie, pendant son investigation, impuissante à " arrêter les morts ". De façon générale, les risques psychosociaux la... dépriment : " C'est compliqué d'objectiver les situations et de les ramener au droit. Et le résultat de l'action n'est pas immédiat. Contrairement à l'amiante : lorsqu'on stoppe un chantier, les salariés sont immédiatement soustraits à l'exposition et au moins le risque cesse, même si des pathologies peuvent survenir par la suite. " Ce pouvoir d'agir, elle tentera désormais de le faire vivre à la Mairie de Paris...