© AdobeStock
© AdobeStock

Le système complémentaire de reconnaissance submergé

par Corinne Renou-Nativel / 27 octobre 2022

Les saisines des comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles ont plus que doublé en dix ans. Une progression des demandes difficile à absorber, liée à l’absence de tableaux sur les troubles psychiques et aux modifications apportées à d’autres.

Où va le système complémentaire de reconnaissance ? La réponse réside dans le bilan 2021 de l’activité des comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP), récemment présenté au Conseil d’orientation des conditions de travail (Coct). Un bilan réalisé chaque année par la direction des Risques professionnels de la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam). Pour rappel, les CRRMP peuvent être saisis dans deux cas de figure. Au titre de l’alinéa 6 de l’article L. 461.1 du Code de la Sécurité sociale, s’il existe un tableau de maladie professionnelle pour une pathologie, mais qu’une de ses conditions n’est pas remplie par la victime (durée et conditions d’exposition, travaux effectués, délai de prise en charge). Ou au titre de l’alinéa 7 du même article, si la pathologie de la victime ne figure pas dans un tableau.

Le poids des restrictions apportées au tableau 57A

Un premier fait saillant ressort du bilan 2021 : l’augmentation des saisines depuis 2010, passées de 13 012 à 27 881, soit un peu plus du double en onze ans. Cette augmentation cache des disparités. Elle n’a été que de 80 % depuis 2010 pour les saisines au titre de l’alinéa 6, qui représentent 78,6 % des recours enregistrés en 2021. Ces saisines « concernent essentiellement le tableau 57A consacré aux tendinites de l’épaule, remanié en 2011 avec des mentions très restrictives, comme la nécessité d’une IRM de l’épaule ne montrant pas de calcification, ainsi qu’un durcissement de la liste des expositions limitatives », note Jean-Louis Zylberberg, médecin du travail représentant de la CGT à la commission spécialisée chargée des maladies professionnelles (CS4) du Coct.
Depuis sa modification, ce tableau mentionne des « travaux comportant des mouvements ou le maintien de l'épaule sans soutien en abduction : avec un angle supérieur ou égal à 60° pendant au moins deux heures par jour en cumulé ou avec un angle supérieur ou égal à 90° pendant au moins une heure par jour en cumulé ». « Les personnes qui utilisent leur corps comme outil de travail n'ont pas forcément pour habitude de mettre un rapporteur sous leur bras pour calculer des angles pendant leurs heures d’activité », signale sur un ton critique Jean-Luc Rué, responsable de la santé au travail pour la CFDT dans la région Grand Est et mandaté également à la CS4 du Coct. Ces restrictions apportées au tableau, en rendant plus difficile la reconnaissance des tendinites de l’épaule, ont contribué à augmenter les saisines des CRRMP pour les troubles musculosquelettiques.

Hausse des troubles psychiques

Concernant l’alinéa 7, les saisines sont passées entre 2010 et 2021 de 839 à 5 362, soit presque sept fois plus en onze ans ! Elles représentent 21,4 % des recours en 2021. Cette augmentation conséquente est corrélée à la hausse des troubles psychiques, comme les dépressions réactionnelles liées au travail, pour lesquels il n’existe pas de tableau. « S’y ajoutent près de 1 500 saisines judiciaires d’un second CRRMP, lorsque le salarié ou l’employeur a contesté au tribunal l’avis du premier comité sollicité », note Jacques Darmon, médecin du travail. Cette hausse des recours, conjuguée à la baisse du nombre de professionnels de santé au travail disponibles pour siéger dans les CRRMP, se traduit par un engorgement du système complémentaire de reconnaissance, d’où un décret récent permettant le recours à des praticiens retraités. Une piste de désengorgement passerait aussi par la création de nouveaux tableaux de maladies professionnelles...
En moyenne, les avis rendus par les CRRMP sont à 42 % favorables à une reconnaissance en maladie professionnelle, avec 43,3 % d’avis favorables pour l’alinéa 6 et 38,1 % pour l’alinéa 7. Une amélioration notable dans ce dernier cas, car seuls 28 % des demandes au titre de l’alinéa 7 recevaient un avis favorable en 2010. En revanche, le bilan montre que de fortes disparités régionales perdurent. Pour les dossiers en alinéa 6, les taux d’avis favorables vont de 27,2 % en Bourgogne-Franche-Comté jusqu’à 66,3 % en Bretagne. L’hétérogénéité pour l’alinéa 7 est encore plus forte encore avec, aux extrêmes, ces deux mêmes régions : 13,7 % d’avis favorables pour la Bourgogne-Franche-Comté contre 76,7 % pour la Bretagne.

Inégalités de traitement

Des disparités difficilement justifiables. « Un article intitulé « Inégalités dans la reconnaissance des maladies professionnelles en France », publié en 2019 dans la Revue d’Epidémiologie et de Santé Publique, a fait état d’une étude dans laquelle des dossiers types identiques avaient été donnés à plusieurs CRRMP, avec en retour une grande hétérogénéité de réponses, explique Jacques Darmon. Mettre en place une formation permettrait peut-être d’atteindre une plus grande uniformité. » Une chose est sûre, la mobilisation et l’accompagnement des victimes semblent favoriser la reconnaissance des maladies professionnelles.
« C’est le cas du mouvement social dans le secteur minier, où le régime de la Carmi, la Caisse régionale de Sécurité sociale des mines, affiche des taux d’avis favorables à une reconnaissance en maladie professionnelle de 81 % au titre de l’alinéa 6 et de 59 % au titre de l’alinéa 7, poursuit Jacques Darmon. Accompagnés, les salariés ont davantage de chance de voir leur requête aboutir favorablement. » Un facteur d’autant plus déterminant que la présomption d’origine professionnelle de la maladie, qui prévaut lorsque les critères des tableaux sont respectés, n’a plus cours devant les CRRMP. « C’est au salarié d’apporter la preuve du lien direct ou du lien direct et essentiel entre la maladie et le travail, rappelle Jean-Luc Rué. Pour construire un dossier complet, mieux vaut être aidé. »