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« Le télétravail doit reposer sur le volontariat et la réversibilité »

entretien avec François Cochet, Président de la Fédération des intervenants en risques psychosociaux
par Fanny Marlier / 04 novembre 2022

Dans un guide publié à la rentrée, la Fédération des intervenants en risques psychosociaux (Firps) donne des clés pour mettre en place un télétravail qui ne fasse pas monter en flèche les RPS. Pour son président, François Cochet, il doit s’accompagner d’une réflexion collective sur les pratiques professionnelles.

Que sait-on de l’impact du télétravail sur la santé mentale des salariés ?
François Cochet :
Tout d’abord, soulignons la diversité des individus. Les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets chez chacun d’entre nous, ce qui entraîne d’ailleurs un risque de « division » entre les salariés : ceux qui ne perçoivent que les avantages du télétravail ont parfois du mal à comprendre que d’autres y voient des inconvénients. Le travail dit « hybride » peut, en théorie, bien fonctionner : quand on est chez soi, on privilégie les tâches où l’on a besoin d’être tranquille pour se concentrer et, sur site, les moments d’échanges avec les collègues. Mais en pratique, la réalité est plus compliquée. Dans certains métiers, le salarié a besoin d’être concentré en permanence. S’il est possible de planifier des réunions, les échanges informels avec les collègues ne peuvent guère se prévoir. Or, ils sont utiles pour bien travailler, avec des repères communs, des idées nouvelles, arriver à prendre du recul…
D’autre part, l’isolement est susceptible d’intensifier les phénomènes de rumination, le sentiment d’exclusion ou de dépression. Mais il y a aussi des salariés que l’isolement protège. Certains choisissent de télétravailler alors qu’ils habitent tout près de leur bureau afin de se mettre à l'abri de certains collègues ou de leurs responsables.

La santé mentale est-elle seule menacée ?
F. C. :
Les risques ne portent pas, en effet, uniquement sur la santé mentale, mais sur la santé globale, en particulier ceux liés à la sédentarité. Numérique, tabac, alcool, drogues, médicaments… les problèmes d’addiction pourraient être plus fréquents. Une étude de l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) sur les pratiques addictives, publiée en 2021, révèle que 60 % des professionnels de services de santé au travail déclarent que le télétravail est un facteur de risque pour les consommations de substances psychoactives.

Quels conseils donneriez-vous aux managers pour appréhender les risques psychosociaux ?
F.C. :
Encadrer des collaborateurs qui pratiquent le télétravail de façon importante transforme le métier. Il faut que les managers dédient davantage de temps au contact des équipes, en privilégiant le rapport individuel. Sans pour autant délaisser les réunions qui favorisent les échanges. Pour dégager le temps nécessaire à cette communication, il leur faut « récupérer » du temps ailleurs en faisant, par exemple, moins de reporting. Les réunions entre managers ne doivent aussi pas être négligées afin de les aider à tenir leur rôle.

Pour bien fonctionner, sur quel socle de principes le télétravail doit-il se construire ?
F.C.
: Le télétravail doit à tout prix reposer sur le volontariat, et le droit de changer d’avis. Il faut absolument que la pratique du télétravail soit réversible, sans que le salarié ait à se justifier puisque sa décision peut s’expliquer par des raisons tout à fait personnelles. Deuxièmement, il doit reposer sur des échanges accrus portant sur les pratiques professionnelles afin de compenser la communication informelle qui se raréfie. Cela aide aussi les managers à analyser les problèmes et à les corriger le cas échéant. Si une entreprise développe cette pratique de réflexion collective sur le travail, non seulement elle préservera la santé des télétravailleurs, mais elle augmentera l’efficacité de tout le monde. En résumé, c'est un bon investissement pour les employeurs.

Comment les élus du personnel peuvent-ils peser dans la prévention de ces nouveaux risques ?
F.C. :
Les CSE ont un rôle à jouer. Nous les encourageons à mesurer périodiquement l’impact du télétravail. Mais ils doivent avoir à l’esprit que défendre un point de vue unique sur le télétravail est délicat puisque les situations sont différentes en fonction des métiers et des situations personnelles de chacun. Finalement, un bon accord de télétravail est celui qui s'occupe autant des télétravailleurs que de ceux en présentiel.

A LIRE AUSSI
  • « Repères pour négocier le télétravail », Santé & Travail n° 116, octobre 2021.