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Dans le tertiaire, le télétravail nuit aux moyens d’action des syndicats

par Fanny Marlier / 13 février 2025

Le travail à distance oblige les représentants du personnel à recréer des canaux de contact avec les salariés. Au risque d’aggraver l’épuisement militant, souligne une étude de l’Ires.

Quel impact le recours des entreprises au télétravail a-t-il sur les militants des organisations syndicales ? C’est la question sur laquelle s’est penché l’Institut de recherches économiques et sociales (Ires) dont les conclusions, dévoilées en novembre, dressent un bilan en demi-teinte. Réalisée dans le cadre d’une convention entre l’Ires, la CFDT et le Centre de sociologie des organisations (CSO) de Sciences Po, l’enquête s’est déroulée de 2022 à 2023 auprès de trois entreprises du secteur des services ayant opté pour le travail à distance avant même la crise sanitaire de 2020 qui a étendu son usage : une mutuelle, une entreprise spécialisée dans l’assistance et une assurance.

Sophie Louey, l’autrice de l'étude, a rencontré une trentaine de militants syndicaux, toutes organisations confondues, dans chaque entreprise. Elle a également réalisé un questionnaire en ligne auquel 1 130 adhérents d’une fédération de la CFDT ont répondu, parmi lesquels 308 occupent ou ont occupé un mandat représentatif. Du point de vue de la santé des militants syndicaux, le constat est préoccupant. « Dans un contexte d’épuisement syndical entraîné par la fusion des instances instaurée par les ordonnances Macron de 2017, le télétravail a un effet aggravant pour les collectifs syndicaux », insiste Sophie Louey, post-doctorante à la chaire transformation des organisations et du travail de Sciences Po et membre associée du CSO.

La difficulté à entrer en contact avec les salariés figure parmi les plus gros points noirs du télétravail : 54% des personnes interrogées la citent. L’étude de l’Ires mentionne notamment les données du politologue Tristan Haute selon lesquelles « les télétravailleurs ont, par rapport aux autres salariés, 1,3 fois plus de chances de ne pas solliciter l’avis d’un représentant du personnel en cas de problème ».

Renouveler les stratégies de recrutement

Toutes les entreprises analysées ne sont pas logées à la même enseigne : la communication directe auprès des salariés par des outils numériques de l’entreprise nécessite d’avoir été négociée au préalable via un accord. « Contacter des salariés en télétravail est difficile, analyse Sophie Louey. Une présence sur site et une distribution de tracts papiers ne suffisent pas à les atteindre. Les délégués syndicaux doivent désormais investir dans des outils numériques pour transmettre les informations et avoir des échanges approfondis avec chacun. » Des stratégies se mettent en place, comme de venir sur site trois jours d’affilée pour tenter de voir un maximum de salariés, ou remplacer les permanences syndicales par une ligne d’assistance joignable sur des tranches horaires spécifiques. Malgré tout, le recrutement de nouveaux adhérents est mis à mal par le télétravail.

Là où les militants des entreprises spécialisées dans la mutuelle et l’assistance peinent à garder le lien avec les salariés, ceux de la compagnie d’assurance y trouvent toutefois un certain bénéfice : à distance et en télétravail, les échanges entre salariés et syndicalistes sont aussi plus discrets, et permettent, dans certains cas, de favoriser les adhésions. « Je trouve ça plus facile d’adhérer [avec le télétravail] parce que, quand tu [étais] à 100% sur site, [quand on était vu] avec une personne syndiquée, ou en tous cas, un élu, on était mal vu, on se faisait convoquer : “Pourquoi t’a-t'il parlé ?” », confie une élue CFDT.

Caméras éteintes, visages peu expressifs

Autre difficulté pointée du doigt : les négociations avec la direction. « Quand vous êtes en visio, vous ne voyez pas les gens, donc, en plus quand ils ne mettent pas leurs caméras… Et pour peu que, quand ils mettent les caméras, ils soient peu expressifs au niveau du visage, finalement, vous perdez beaucoup en qualité de négociation et en qualité de relations humaines », témoigne une membre de la direction des ressources humaines d’une mutuelle.

Dans un tel contexte, Sophie Louey constate chez les délégués syndicaux une « surcharge de travail » qui entraîne un épuisement militant : « En étant tenus par un sens moral de l’engagement, des militants vont avoir tendance à éviter à tout prix l'arrêt maladie et finissent, dans les cas les plus graves, en burn-out. » Former les militants à l’articulation entre activités syndicales et télétravail et les sensibiliser davantage aux enjeux de santé liés à cette organisation figurent parmi ses pistes de réflexions. « La poursuite d’enquêtes sur les façons dont le télétravail impacte les collectifs syndicaux permettrait d’explorer si (...) l’engagement syndical se réduit, se maintient ou augmente par l’extension du recours au télétravail, dans un contexte d’épuisement syndical croissant », conclut-elle. En somme, mesurer davantage les conséquences du télétravail sur la défense des droits des travailleurs et des travailleuses.

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