Tête chercheuse et cheville ouvrière sur les TMS
Entrée à l’Institut national de recherche et de sécurité il y a vingt ans, Agnès Aublet-Cuvelier a contribué à remettre l’humain au cœur de la prévention des troubles musculosquelettiques, en déployant une approche pluridisciplinaire.
S’ils ne suffisent pas à la résumer, deux sigles s’imposent d’emblée quand il s’agit d’évoquer la personne d’Agnès Aublet-Cuvelier : INRS et TMS. L’Institut national de recherche et de sécurité, l’INRS donc, elle y fait carrière depuis l’an 2000, date à laquelle elle a été recrutée comme responsable d’études sur la prévention des troubles musculosquelettiques, les TMS. Cette juvénile quinquagénaire vient d’être nommée adjointe du directeur des études et recherches le 1er juin dernier. Pour prendre son poste, elle n’a eu que quelques pas à faire, entre deux bâtiments contigus sur l’immense site de Vandœuvre-lès-Nancy (Meurthe-et-Moselle). Avec autant d’allant que si c’était son premier jour dans l’institution paritaire.
C’est lors d’un stage pendant son internat de médecine du travail qu’Agnès Aublet-Cuvelier a découvert l’INRS de l’intérieur, au laboratoire de physiologie environnementale. La jeune femme avait abandonné déjà depuis quelque temps l’idée de devenir pédiatre. Le métier de son père, ingénieur des Mines, directeur aux Houillères du bassin de Lorraine et dans d’autres exploitations de sel, de plomb et d’argent dans l’Hexagone, n’est sans doute pas étranger à cette réorientation de ses études médicales : « La sécurité comptait beaucoup pour lui, j’y ai été sensibilisée très tôt, se souvient-elle. Et puis la médecine du travail a un côté médecine d’investigation qui me plaisait, outre son ouverture sur des milieux professionnels variés. »
Des années de réflexion
Néanmoins, après un an d’exercice en service de santé au travail à Nancy et Metz, c’est son goût pour la recherche qui prend le dessus, comme en atteste sa maîtrise de sciences biomédicales. Sa thèse portant sur une « démarche de prévention des TMS dans une blanchisserie hospitalière » est le point de départ d’années de réflexion consacrées à la première des maladies professionnelles aujourd’hui. Au sein de l’INRS, au cœur du département « Homme au travail ».
Dès le départ, elle se trouve des affinités avec le groupe francophone de recherches sur les TMS, rassemblant entre autres Michel Aptel, chef du laboratoire de biomécanique, Yves Roquelaure, professeur de médecine du travail, François Daniellou, ergonome, Annette Leclerc, épidémiologiste, Nicole Vézina, professeur d’ergonomie au Québec… Un aréopage qui défend une approche pluridisciplinaire. « On cherchait à prendre en considération d’autres angles : organisationnel, psychosocial, relate Agnès Aublet-Cuvelier. Cela a été une période stimulante intellectuellement. Nous répondions à de nombreuses demandes des acteurs de terrain – employeurs, CHSCT, responsables hygiène-sécurité-environnement, services de santé au travail… Ce que nous faisions était utile et utilisé. »
Sandrine Caroly, professeure en ergonomie à l’université de Grenoble Alpes, estime que c’est une grande professionnelle qui œuvre pour la prévention des TMS en France. Lorsqu’elle est devenue chef du département « Homme au travail » en 2013, « Agnès a encore davantage porté cette dynamique globale et pluridisciplinaire, avec sa capacité à faire des ponts entre les sciences, en mettant en contact les chercheurs, en faisant confiance aux gens », rappelle l’ergonome.
De nouveaux enjeux
Un département qu’elle a réussi à positionner sur les évolutions récentes des conditions de travail, marquées par le déploiement des nouvelles technologies. Les exosquelettes, la robotique collaborative, l’intelligence artificielle ont changé la gestion des risques. De même, l’idée que la personne occupe une place centrale au travail s’est davantage imposée. « Prendre en compte l’importance du facteur humain, qui n’est pas réductible à une équation mathématique, a conduit à modifier la façon dont la prévention s’organise dans les entreprises, analyse Agnès Aublet-Cuvelier. Il a fallu donner plus de place à d’autres sciences, comme la sociologie ou la psychologie, pour faire adhérer les acteurs concernés et créer des cultures différentes. »
Pour Yves Roquelaure, elle a contribué à créer une entité de recherche importante, avec une production scientifique renouvelée : « C’est quelqu’un de très compétent, qui lit beaucoup et voit bien les enjeux. Et cela se traduit dans la qualité des publications diffusées auprès des préventeurs. » Rien d’étonnant donc à ce qu’on la retrouve au générique de nombreuses sociétés savantes et conseils scientifiques. C’est aussi une des chevilles ouvrières du troisième plan santé travail, sur les volets usure professionnelle et risques psychosociaux.
« Une bonne organisatrice »
« Toujours curieuse d’apprendre », Agnès Aublet-Cuvelier s’est ouverte à d’autres disciplines, comme l’ergonomie ou la gestion. Elle a pris ses fonctions de manager tout en souplesse bienveillante, partagée entre recrutement des thésards, suivi des projets d’études, gestion des budgets, organisation d’événements scientifiques et contribution aux orientations stratégiques de l’institution. « Cela nécessite un gros apprentissage des relations humaines ! », s’amuse-t-elle. On reconnaît d’ailleurs ses qualités managériales : « Agnès sait exercer des postes à responsabilité, sans entrer dans des rapports de domination », souligne Sandrine Caroly. « C’est une bonne organisatrice, qui tient ses positions dans une forme de soft power », renchérit Yves Roquelaure.
Nul doute qu’elle saura user de ces atouts dans les hautes sphères décisionnelles de l’INRS pour défendre son point de vue en matière de recherche. « Si l’on a progressé dans la culture de prévention, il reste encore beaucoup à explorer du côté de l’organisation du travail, de la gestion des compétences, des technologies émergentes… » Avec la même détermination à ne pas accepter que le travail rende les gens malades, encore aujourd’hui.