Le travail chamboulé… pour le meilleur ?

par
© N. M./FNMF © N. M./FNMF
François Desriaux rédacteur en chef
/ juillet 2020

Editorial

Aux « premiers de cordée », censés incarner l’idéal entrepreneurial au début du quinquennat d’Emmanuel Macron, ont succédé les « premiers de corvée », salariés les plus exposés au Covid-19. Les infirmières et aides-soignantes applaudies de longues minutes chaque soir à 20 heures, mais aussi le personnel des maisons de retraite, les caissières, aides à domicile, agents de sécurité… Cela restera une image forte de cette parenthèse mortifère. « A quelque chose, malheur est bon », soutient le proverbe. A l’occasion de cette pandémie, les invisibles, ces « intouchables » du monde du travail, ont enfin capté la lumière et leur rôle irremplaçable pour que la France ne sombre pas a été reconnu. Il reste maintenant à transformer concrètement leurs conditions de vie et de travail pour que cette reconnaissance de la nation ne soit pas qu’un feu de paille. 
Un quart de la France en télétravail : cela restera également l’un des phénomènes marquants du confinement. Une expérience inédite qui n’a pas fait que des heureux, loin de là. Surcharge mentale, inadaptation ergonomique du poste, renforcement du contrôle hiérarchique, abolition de la séparation entre vie professionnelle et vie privée… Les griefs ne manquent pas. Si de nombreuses entreprises ou administrations freinaient des quatre fers sur la mise en place de ce mode d’organisation, souvent plébiscité par les salariés, elles n’ont eu d’autre choix que de sauter le pas. Mais il ne suffit pas de s’asseoir chez soi devant un ordinateur pour télétravailler correctement. Il faut engager un large processus de négociation, au plus près du terrain, pour transformer cet essai contraint en une nouvelle conquête sociale. « Jamais nous n’avons aussi bien travaillé. » Cette affirmation, plusieurs fois entendue de la part de personnels soignants, illustre pour nous une énième leçon forte de la crise. Après des mois de grèves à cause de conditions de travail délétères, il était raisonnable de redouter que les services hospitaliers ne coulent sous les coups de boutoir du virus. Il n’en fut rien. Non seulement le système a tenu mais les soignants ont retrouvé du sens à leur mission. Malgré la pénibilité, la souffrance, la pénurie de matériel, la mort aussi qui rôdait jusque dans leurs rangs, ils n’ont jamais autant apprécié leur métier. Simplement parce qu’ils ont pu reprendre la main sur leur travail, libéré des contraintes gestionnaires. Tout le monde a pu coopérer, délibérer et faire preuve d’inventivité. La démonstration est faite : la démocratie du travail, ça marche ! Alors, pour que cette parenthèse ne se referme pas sans perspectives de transformations, nous avons voulu laisser un pied dans la porte avec ce numéro spécial. Il s’agit tout autant de ne pas oublier le pire que de promouvoir le meilleur.