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« Trouver peu de sens à son activité augmente les jours d’arrêt maladie »

entretien avec Coralie Perez, économiste au Centre d’économie de la Sorbonne (université Paris 1) et coauteure de l’étude Quand le travail perd son sens
par Eliane Patriarca / octobre 2021

Quel était l’objectif de votre recherche ?
Coralie Perez : Nous avions la forte intuition que les salariés, de plus en plus soumis à des objectifs chiffrés, des procédures rigides et des réorganisations fréquentes, éprouvaient une détérioration du sens de leur travail qui pouvait devenir un facteur de risque psychosocial (RPS). En analysant l’enquête sur les conditions de travail réalisée par la direction de l’Animation de la recherche, des Etudes et des Statistiques (Dares) du ministère du Travail pour la période 2013-2016, nous avons cherché à savoir si ce déficit de sens affectait les comportements des salariés en matière de mobilité professionnelle, de propension à se syndiquer et d’absentéisme.

Quand le travail trouve-t-il ou perd-il son sens ?
C. P. : Nous nous sommes d’abord efforcés d’étayer ce concept dans notre discipline. Car longtemps le travail n’a pas eu de sens en lui-même pour les économistes : il visait seulement à percevoir un salaire pour compenser la pénibilité d’une tâche. Ensuite, certains ont reconnu que l’engagement dans le travail pouvait tenir à des motivations autres que pécuniaires ; ces économistes ont réfléchi sur la satisfaction au travail ou la qualité de l’emploi, mais l’expérience même du travail n’a jamais été au cœur de leurs préoccupations. Nous nous sommes alors tournés vers une autre discipline, la psychodynamique du travail, afin de saisir ce qui peut faire sens dans l’activité concrète. Nous avons identifié trois dimensions. Il faut que le travail, par sa finalité ou ce qu’il produit, ait une « utilité sociale », un impact sur le monde extérieur ; ensuite, qu’il permette au salarié de conserver « une cohérence éthique », qu’il puisse être réalisée en accord avec ses normes éthiques et professionnelles ; et enfin, qu’il offre une « capacité de développement », en contribuant à la transformation du travailleur, à son accomplissement.

Qu’avez-vous constaté ?
C. P. : La perte de sens du travail contribue à expliquer une part significative de la mobilité professionnelle volontaire, au moins autant que l’intensité du travail, et même davantage que les autres facteurs de RPS. Entre 2013 et 2016, 17 % des salariés en CDI ont changé d’établissement ou de profession, mais ce chiffre monte à 22 % pour ceux qui avaient en 2013 le plus faible score sur le sens du travail. Trouver peu de sens à son travail, notamment à cause du manque d’utilité sociale et de la faible capacité de développement qu’offre leur poste, accroît aussi la probabilité de se syndiquer. Le nombre de jours d’absence pour maladie augmente aussi significativement. Néanmoins, même s’ils considèrent que leur activité n’a plus de sens, une large partie des salariés reste dans l’entreprise. Peut-être n’ont-ils pas, à cette étape de leur vie, les ressources et les opportunités pour changer d’emploi… Nous pourrions prolonger notre étude en analysant comment le fait de travailler durablement dans ces conditions impacte la santé.

A LIRE
  • Quand le travail perd son sens, par Thomas Coutrot et Coralie Perez, Document d’études de la Dares n° 249, août 2021.