"Valoriser l'expérience pour construire la santé"

entretien avec Corinne Gaudart, directrice du Creapt
par François Desriaux / avril 2018

Le Centre de recherches sur l'expérience, l'âge et les populations au travail (Creapt) a fêté ses 25 ans par un colloque, le 6 février. Sa directrice, Corinne Gaudart, revient sur la nécessaire prise en compte du vieillissement des salariés dans le travail.

Au cours des vingt-cinq ans d'existence du Centre de recherches sur l'expérience, l'âge et les populations au travail (Creapt), le vieillissement des salariés a-t-il été de mieux en mieux pris en compte, notamment depuis le recul de l'âge de la retraite ?

Corinne Gaudart : Depuis que les premiers baby-boomers ont atteint l'âge de la retraite - ce qui correspond aux premières mesures d'allongement de la vie professionnelle -, les enjeux de population se sont démultipliés : remplacement, souvent partiel, des départs ; accueil des nouveaux ; maintien en emploi des cinquantenaires, nombreux et pouvant avoir des difficultés de santé. Les lieux de traitement de ces problèmes se sont eux aussi démultipliés : SST [services de santé au travail], dont les missions se sont transformées ; services des ressources humaines ; services de production, notamment avec une responsabilisation croissante de l'encadrement sur les questions de santé au travail. Pour autant, la prise en compte de l'âge dans le travail reste souvent un problème qui n'est pas traité, particulièrement quand il s'agit de faire de la prévention, à l'exception d'initiatives locales qui ont du mal à perdurer.

Vous travaillez avec des entreprises pour les aider à adapter le travail, son organisation et le management à l'avancée en âge des salariés. Qu'en retenez-vous ?

C. G. : Les projets que nous menons en entreprise ont souvent comme demandeurs les SST ou les services d'ergonomie qui souhaitent mettre en oeuvre des politiques de prévention s'appuyant sur une meilleure connaissance des liens entre santé et travail au fil de la vie professionnelle. La compréhension de ces liens n'est pas aisée et dépend beaucoup du fonctionnement de l'entreprise et de son histoire. Le traitement de cette question appelle à un décloisonnement des services, car chacun se saisit d'une partie des problèmes avec sa propre conception de la santé au travail. Cela implique également de réactiver la mémoire de l'entreprise, que ce soit celle des chiffres, des décisions managériales ou des changements organisationnels, alors que ces changements ont eux-mêmes tendance à la faire disparaître. Les derniers projets menés par le Creapt montrent que l'encadrement de proximité joue un rôle fondamental et souvent méconnu pour soutenir les parcours professionnels en santé et en compétence.

Vous mettez en avant le rôle de l'expérience acquise par les salariés. Pourquoi ?

C. G. : L'expérience fait partie des mots-clés du Creapt depuis ses débuts. Sa mise en avant souligne notre volonté de défendre une approche de la santé au travail dans laquelle les compétences, les savoirs acquis sont fondamentaux. Pouvoir développer son expérience, la mettre en oeuvre, individuellement et collectivement, participe à se préserver, voire à construire sa santé. Dans les entreprises, celle-ci peut se trouver valorisée quand elle est associée à de l'expertise dont la perte aurait des conséquences économiques. Pourtant, l'expérience se développe dans tous les métiers, y compris ceux considérés comme peu ou pas qualifiés, et joue un rôle actif dans la santé. Il faut donc profiter des débats publics actuels sur la question de la formation tout au long de la vie pour la mettre en avant et la faire prendre en compte.