La visite médicale du travail se raréfie

par François Desriaux / 08 décembre 2021

Une récente étude montre un affaiblissement notable du suivi des salariés par la médecine du travail. Y compris pour les travailleurs exposés à des risques spécifiques, sur lesquels les moyens devaient normalement être concentrés. Revue de détail.

En bon Français, c’est un plongeon ! 70 % des salariés déclaraient, en 2005, avoir eu une consultation dans les douze derniers mois avec un médecin du travail ou un infirmier. Ils ne sont plus que 39 % en 2019, selon le document publié mardi 7 décembre par la direction de l’Animation de la recherche, des Etudes et des Statistiques (Dares) du ministère du Travail. Ils n’étaient déjà plus que 51 % en 2013. « Dans un contexte de diminution du nombre de médecins du travail, les visites de suivi des salariés du privé par les services de santé au travail sont devenues moins fréquentes », constate l'auteure du document, Amélie Mauroux, à partir de données issues des enquêtes nationales Conditions de travail.

Les ouvriers mieux suivis

La durée entre deux visites s’allonge également. En 2019, 28 % des salariés du privé n’avaient pas eu de visite de suivi depuis deux ans ou plus, contre seulement 13 % en 2005. En revanche, les parts de salariés n’ayant pas eu de visite depuis plus de cinq ans, ou n’en ayant jamais eue, évoluent peu (respectivement 4 % et 6 % en 2019). Cette diminution de la fréquence des visites médicales n’est pas égale selon les catégories socioprofessionnelles. 78 % des ouvriers ont été reçus en visite médicale au cours des deux dernières années, contre 63 % des employés et 73 % des cadres. « Cependant, toutes les catégories socioprofessionnelles de salariés sont concernées de manière similaire par l’espacement des visites entre 2005 et 2019 avec, pour chacune d’entre elles, un recul de l’ordre de 15 points de la proportion de personnes bénéficiant d’un suivi durant les deux dernières années », peut-on lire dans le document.
Là où le bât blesse, c’est du côté des salariés soumis à plusieurs critères de pénibilité, comme les contraintes physiques. Contrairement aux promesses faites par les pouvoirs publics lors de la décision d’espacer les visites médicales – il s’agissait de concentrer les moyens disponibles sur les salariés ayant réellement besoin d’un suivi du fait de leur exposition à des contraintes délétères pour leur santé –, les chiffres montrent que ces derniers ne sont pas mieux lotis. « Entre 2005 et 2019, la fréquence des visites médicales a pratiquement autant reculé pour les salariés exposés à au moins trois contraintes physiques (-13 points sur la proportion de salariés ayant bénéficié d’une visite depuis moins de 2 ans) que pour l’ensemble des salariés (-16 points) », écrit Amélie Mauroux. On notera toutefois que le travail de nuit fait exception à cette règle, le recul de la fréquence des visites médicales pour les salariés qui y sont exposés étant très faible.

Sous les radars

Autre résultat préoccupant : les salariés les plus à risque de dépression, parce que faisant état d’un faible bien-être psychologique au travail, ne sont pas mieux suivis que la moyenne des salariés. Cela révèle à quel point les entreprises et les services de santé au travail sont en difficulté pour instiller une prévention primaire sur ce type de risque. Cela indique aussi que les dépressions d’origine professionnelle, dans un contexte marqué par l’essor des risques psychosociaux dans les entreprises, passent largement sous les radars.
La seule bonne nouvelle relève plutôt de la prévention secondaire. Les salariés du privé ayant eu un ou plusieurs accidents du travail dans les douze derniers mois sont mieux suivis : 80 % d’entre eux ont vu un médecin du travail au cours des deux dernières années contre 72 % des salariés dans leur ensemble. Même chose pour les salariés en mauvaise santé, pour ceux ayant déclaré un handicap ou ayant eu un arrêt maladie. « Ceci s’explique sans doute par les visites de reprise, qui sont, suite à la réforme de 2016, en principe obligatoires après un arrêt maladie d’au moins 30 jours », commente le document. Cependant, « avec une baisse de 13 points entre 2005 et 2019 (16 points pour l’ensemble des salariés), les salariés ayant connu un accident du travail pendant l’année précédant l’enquête ne sont pas moins concernés par la raréfaction des visites de suivi », conclue l'auteure.