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Mal-être, dépression, suicide... Pourquoi le travail fait souffrir

par François Desriaux / octobre 2008

Même le magazine L'Expansion s'y met ! La souffrance psychique au travail est à la mode, y compris chez les managers et les branchés de la finance. Et fait souvent la une des quotidiens nationaux.

Face à cette souffrance, les entreprises privilégient des solutions de prévention axées sur les individus et ne remettant pas en cause l'organisation du travail. Numéros Verts, stages de gestion du stress sont autant de remèdes qui font le bonheur et le chiffre d'affaires de cabinets de consultants... pour une efficacité discutable.

Evidemment, à Santé & Travail, nous recommandons une autre approche, centrée sur le travail. Mal-être, surcharge de travail, conflits avec les collègues, harcèlement... Derrière ces plaintes des salariés, on trouve souvent un point commun en discutant avec eux : la difficulté à faire un travail de qualité. Pourtant, jamais sans doute les entreprises n'ont autant mis l'accent sur la qualité. Sauf que ce terme n'a pas la même signification pour la direction, le client et le salarié. Pour l'opérateur d'un centre d'appel, par exemple, réaliser un bon travail, c'est d'abord répondre au mieux à la demande du client. Pour le gestionnaire, la qualité doit lui permettre en priorité d'améliorer sa rentabilité. Cela va donc conduire à une standardisation des réponses et à une intensification des tâches : l'opérateur devra répondre en un minimum de temps pour prendre un plus grand nombre d'appels. Mais surtout, il devra jongler avec cet objectif et les attentes d'un client devenu roi. Seul. Car, que ce soit la charge de travail, les objectifs individualisés ou les entretiens annuels d'évaluation, tout concourt à isoler les salariés. Et donc à les empêcher de confronter leurs pratiques à celles de leurs pairs.

C'est là que se niche le coeur de la souffrance au travail. Quels que soient son métier, son niveau hiérarchique, chaque travailleur doit affronter et gérer au quotidien des contradictions dans l'intimité de son activité. Chacun le fait en fonction de ses valeurs, chacun s'expose à être en désaccord avec les autres, mais aussi avec lui-même. On fait tous des choses que l'on réprouve, on n'agit pas toujours comme l'on voudrait.

Mettre un couvercle sur ces conflits éthiques, simplement pour pouvoir conserver son gagne-pain, a un coût psychique élevé. A l'opposé, résister, c'est prendre le risque d'être incompris des autres, de la hiérarchie, et finalement être rejeté et laminé moralement. Dans les deux cas, cela peut conduire à la perte d'estime de soi, avec des conséquences désastreuses pour la santé mentale.

Dès lors, la prévention de la souffrance psychique dépasse la "simple" prévention de facteurs de risques psychosociaux. Il ne s'agit pas uniquement de supprimer ou de réduire la charge de travail ou les contraintes de temps, comme on peut le faire avec la concentration trop forte d'un toxique dans l'atmosphère. Entre les deux, il y a toute la dimension subjective du travail. S'attaquer à la souffrance mentale au travail commence donc par l'organisation d'espaces de débat sur celui-ci, sur sa finalité, sur les façons de faire face aux difficultés. Non pas un débat aseptisé conduit par la hiérarchie, mais un débat qui permette de travailler collectivement les contradictions du travail.

Vite fait, mal fait

par Serge Volkoff statisticien et directeur du Centre de recherches et d'études sur l'âge et les populations au travail / octobre 2008

Jamais, sans doute, il n'a autant été question de qualité du travail. Rechercher "l'excellence", concilier ainsi la compétitivité des entreprises et l'épanouissement des salariés, pourquoi pas. Encore faudrait-il que l'organisation du travail s'y prête.

Au sommet d'une pyramide inversée, on trouvera les clients", proclamait un ouvrage qui a fait date dans la littérature managériale des années 19901 . Finissons-en avec les organisations verticales, hiérarchiques, où la direction déciderait de tout et où le commercial serait renvoyé à la périphérie de la production. L'objectif est de conquérir des parts de marché et de satisfaire les consommateurs, usagers, donneurs d'ordre, bref la clientèle, en leur assurant de plus en plus tôt des produits et services de plus en plus parfaits, voire en devançant leurs désirs. "Zéro défaut", enquêtes de satisfaction auprès des clients, chartes qualité, normes en tous genres, toutes ces techniques se sont déployées dans l'ensemble des pays industrialisés. En France, l'évolution a peut-être été un peu plus tardive, mais aussi plus brusque. Un repère : en 2005, à peu près la moitié des salariés français disaient qu'une procédure (au moins) de ce type était en place dans leur entreprise. Un autre, plus révélateur : à la même date, près de deux salariés sur trois considéraient qu'une erreur dans leur travail "pou...

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    L'entreprise de la deuxième ère, par Don Tapscott et Art Caston, Dunod, 1994.

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