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Chimiothérapies : l’Anses propose de mieux protéger les soignants

par Nolwenn Weiler / 24 août 2021

Dans un récent avis, l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) propose d’inscrire les travaux exposant les personnels soignants aux produits cytotoxiques – utilisés pour les chimiothérapies – dans la liste des procédés cancérogènes. Explications.

Développer un cancer après avoir manipulé des médicaments anticancéreux ? C’est malheureusement possible, comme l’avait révélé Santé & Travail et Bastamag dans une enquête conjointe. Les produits cytotoxiques utilisés dans le cadre des chimiothérapies sont en effet conçus pour détruire les cellules cancéreuses, mais ils peuvent aussi s’en prendre aux cellules saines. Pour mieux protéger les travailleurs contre ce risque professionnel méconnu, l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) a proposé, dans un avis publié en juillet dernier, de modifier l’arrêté fixant en France la liste des procédés cancérogènes et d’y ajouter les travaux exposant à 18 principes actifs de médicaments anticancéreux. Cela permettrait d’appliquer à ces substances les règles de prévention prévues par le Code du travail. L’agence alerte également sur les effets tératogènes des substances cytotoxiques, et les risques d’infertilité liés à leur utilisation, « qui devraient être pris en compte pour la prévention des risques professionnels ».

Près de 92 000 travailleurs exposés

« Les familles professionnelles des salariés les plus concernés par une exposition aux médicaments cytotoxiques sont les infirmiers et sages-femmes, les aides-soignants (incluant les assistants vétérinaires), les médecins et assimilés (incluant les vétérinaires et les pharmaciens), les professions paramédicales et les personnels d’études et de recherche », précise l’Agence. Selon l’édition 2017 de l’enquête Sumer (pour surveillance médicale des expositions aux risques professionnels), menée par le ministère du Travail, 91 900 salariés sont exposés aux médicaments cytotoxiques. Des chiffres qui n’incluent pas les travailleurs indépendants, notamment ceux intervenant dans les soins à domicile de patients ou lors de soins vétérinaires.
« Aujourd’hui, les médicaments cytostatiques sortent du cadre de classification et d’étiquetage européen, souligne par ailleurs Henri Bastos, directeur scientifique santé-travail à l’Anses. Contrairement aux produits utilisés en milieu industriel, le règlement européen n’impose pas de prévenir l’utilisateur du caractère dangereux des médicaments via un étiquetage spécifique. » Depuis des mois, les syndicats européens bataillent pour que cette situation évolue : ils souhaitent que les médicaments cytostatiques soient inclus dans la directive qui encadre l’usage professionnel des produits cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques. Les eurodéputés se sont ralliés à leur position en avril dernier. La Commission et le Conseil de l’Europe restent pour le moment silencieux sur le sujet. Or, un accord entre ces trois instances est indispensable pour que la directive puisse être modifiée.

Prévenir les risques, maintenant

En proposant d’inscrire les travaux exposant à 18 cytotoxiques dans l’arrêté français, l’Anses suggère de protéger dès aujourd’hui les salariés, sans attendre une éventuelle modification de la directive européenne, les États membres mettant souvent des mois à intégrer les modifications des textes européens dans leur droit national. L’inscription au sein de l’arrêté impliquerait en effet des exigences supplémentaires pour les employeurs en matière d'évaluation des risques, de mise en œuvre de moyens de prévention, de contrôle de l’exposition des travailleurs, d'information et de formation. En outre, cela faciliterait les démarches des salariés victimes de cancers liés à l’utilisation de cytotoxiques pour faire reconnaître leur origine professionnelle. A défaut de tableau de maladie professionnelle, ces salariés doivent en effet établir un lien direct et essentiel entre leur pathologie et l’usage de ces produits dans le cadre du travail, même s’ils y ont été exposés pendant des années et bien que leur cancérogénicité soit documentée.

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