© Christophe Boulze
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Une crèche où le collectif joue un rôle préventif

par Clotilde de Gastines / 31 août 2023

A Montpellier, l’équipe de la crèche associative la Bambinerie privilégie la souplesse du temps de travail et l’analyse collective des pratiques. Une démarche qui permet d’atténuer les tensions, de préserver le sens du travail, sans résoudre toutes les difficultés.

Le calme règne à la Bambinerie. « Après et avant la tempête », sourit Carole, la directrice de cette crèche associative à gestion parentale de Montpellier, en nous accueillant, un bébé dans les bras. Amalia*, 11 mois, est la seule enfant encore éveillée. Il est 13 h 30 et les 18 autres bambins sont à la sieste depuis une bonne demi-heure. En ce mois de juillet, il fait 37° à l’ombre, mais les locaux situés en rez-de-chaussée de la cité Astruc, un petit quartier HLM à proximité du centre-ville, gardent plutôt le frais.
La crèche a été créée en 1985 par un collectif de parents et occupe aujourd’hui dix professionnelles en CDI, pour s’occuper de 19 enfants. L’équipe, très stable, compte des auxiliaires de puériculture, des éducatrices de jeunes enfants (EJE), une animatrice en alternance, une accompagnant éducatif petite enfance, une cuisinière et une agente d'entretien. Fabienne, la plus ancienne, fête cette année ses trente années d’ancienneté. Une situation relativement rare, beaucoup de structures de la petite enfance connaissant un fort turn-over, comme l’a rappelé un récent rapport de l’Inspection générale des affaires sociales.
Dans ce rapport, publiée en avril 2023, l’IGAS a alerté sur la profonde dégradation des conditions d’accueil des enfants, en lien avec celle des conditions de travail des professionnels de la petite enfance. En réponse, le gouvernement Borne a annoncé début juin des investissements massifs pour créer 20 000 places avec un objectif de 200 000 à l’horizon 2030. Mais rien de concret sur la qualité de l’accueil ou le mode de financement, notamment celui du privé à but lucratif, qui fait débat. Des difficultés que la Bambinerie arrive à surmonter pour l’instant, grâce à un mode d’organisation souple et collégial.

Une même vision du travail

« Ici, on a de la chance, on se connaît bien, on partage la même vision du travail et des besoins des enfants. Et surtout, on sait qu’on peut compter les unes sur les autres. Alors certes, on n’est plus toutes jeunes, mais on est formées et on a plus de vingt ans d’expérience, sans ça, c’est terrible, certaines craquent », explique Caroline, auxiliaire de puériculture, qui travaille à la Bambinerie depuis 1998 et revient de deux mois d’arrêt à cause d’une « sciatique de l’au-delà » dont elle est coutumière. Carole, la directrice, acquiesce. Elle dirige la crèche depuis douze ans. « On continuera à faire ce que l’on sait faire », renchérit-elle.
Tenir bon, malgré la « tête pleine », le corps « usé », les difficultés de recrutement et les aides des pouvoirs publics qui s’amenuisent. En principe, toutes les salariées de la Bambinerie sont à temps partiel – entre 24 et 30 heures par semaine – pour éviter d’être trop nombreuses pendant la sieste des enfants et surtout limiter la fatigue liée au niveau sonore, aux postures courbées et aux manutentions. « Cette organisation nous permet d’avoir de la souplesse pour monter à 34 ou 35 heures si jamais l’une de nous est absente ou malade », explique-t-elle.

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Carole confie la petite Amalia, qui jouait tranquillement dans le coin bébé, à Caroline, qui l’allonge doucement sur le dos : « Je vais te mettre de la crème d’accord ? » L’enfant agite ses menottes constellées de petites plaques d’eczéma. « On se met là pour ne pas réveiller les copains », partage l’auxiliaire de puériculture. La salle de change jouxte les dortoirs, tout en étant séparée, pour préserver le sommeil des autres enfants. « D’abord les jambes, maintenant les bras, puis le visage ! Oui, là, je vois bien, ça te gratte. Voilà, c’est fini. Et maintenant c’est l’heure d’aller faire dodo », chantonne Caroline.

Passage de relais

Une fois certaine que la petite est prête à s’endormir, Caroline rejoint dans le bureau Carole et Jocelyne, qui a fini sa journée et passe le relais à l’équipe de l’après-midi. Elle a fait l’ouverture de la crèche et assuré les ateliers communs du matin : rituels d’accueil en chansons, jeu d’enquête... et prévient Caroline que Martin*, 2 ans, était fiévreux : il a pris un Doliprane, il faudra vérifier son état au lever de sieste.Comme l’agent d’entretien est absente, Caroline passera un coup de serpillère sur le sol puis préparera le goûter. Il faudrait aussi demander à Laura – jeune alternante qui termine son stage à la fin du mois – d’étendre le linge et vider le lave-vaisselle avant les réveils. « Quand notre agent d’entretien est absent, c’est sportif, résume Jocelyne. Il faut accepter d’être multifonction, dès lors que ça a du sens pour le collectif de travail, mais ce n’est pas toujours facile pour les nouvelles recrues. »

Des plus petits aux plus grands

Vers 15 heures, quand tout est prêt et rangé, les premiers enfants sortent du dortoir. Aude, qui les a veillés, assure le lever de sieste en les guidant vers la salle de bain : change, rhabillage, rangement des doudous, passage sur le pot et lavage de main pour les enfants « propres ». Laura propose des activités calmes : dessin, poupée, lecture. Elle se voûte pour ramasser un bouchon de feutre, prête ses cheveux pour une tresse, rassure l’enfant que notre présence impressionne. Puis le rythme s’accélère, les grands vont goûter sur une grande nappe comme un pique-nique, pour faciliter le nettoyage. Agenouillée, Carole gère les désidératas des uns et des autres, les minicollisions, les refus. Une fois le service terminé, elle note les horaires des siestes dans le cahier des transmissions que peuvent consulter les parents en fin de journée.

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Dans la salle d’à côté petits et moyens sont assis en arc de cercle. Une enfant refuse son yaourt, Caroline l’incite à manier sa cuillère toute seule sans pour autant l’obliger à s’alimenter. « Avec la chaleur, les enfants ont moins d’appétit », commente-t-elle. Les grands commencent à trépigner d’impatience pour sortir dans le jardin. Un vaste espace à l’ombre des micocouliers. Des petits groupes autonomes s’organisent, les uns s’emparent de mini-tractopelles, d’autres sortent les playmobils sur un grand tapis. Il faut jongler entre les verres d’eau pour chacun, le brumisateur improvisé et les crèmes solaires.

« Penser ensemble l’amélioration »

A partir de 17 heures, les parents arrivent au compte-goutte, ce qui laisse le temps de débriefer sur les activités du jour. A 18 h 30, le dernier enfant quitte la crèche. L’équipe se réunit alors autour d’une psychologue, qui vient animer une réunion d’analyse des pratiques professionnelles. « On est là pour s’interroger sur ce qui peut poser un problème dans le fonctionnement de la crèche. C’est important de penser ensemble l’amélioration, car quand un enfant sent une faille, ça l’inquiète, alors il s’y engouffre », explique Corinne Tranchida, la psychologue.

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Le but de la réunion est d’explorer les situations parfois très banales qui créent des tensions : un enfant qui fait des colères très souvent, un autre qui refuse de s’alimenter, des tensions interpersonnelles. « Il n’y a pas de recette magique quand il s’agit de répondre aux besoins et aux émotions de l’enfant, surtout quand celui-ci n’a pas encore acquis le langage. On réfléchit ensemble à un ajustement matériel ou humain », dit Fabienne, qui pense à une petite en difficulté au moment des repas : elle testait le dossier de sa chaise en se balançant brutalement par à-coups en arrière. « Plutôt que de la gronder, on a essayé de l’installer sur un tabouret, explique Fabienne. Elle n'est pas tombée, ça l’a rassurée, elle a ancré ses pieds dans le sol et s’est mis à déjeuner tranquillement. »

Flux tendu

Au-delà des difficultés inhérentes au métier, le collectif souffre du fonctionnement à flux tendu. Depuis février, il manque systématiquement une salariée. Il faut jongler avec les plannings, l’équipe n’a plus le temps de souffler. « Chaque année depuis le Covid, ça empire, je ne sais pas comment on pourra tenir jusqu’à la retraite », souffle Carole. L’an dernier, le départ à la retraite de l’une des fondatrices, très expérimentée, a provoqué un vide, car il est devenu difficile de recruter du personnel diplômé. « Nous n’avons eu que deux candidates diplômée EJE, l’une ne s’est jamais présentée, l’autre a préféré rejoindre les services de la Ville de Montpellier qui propose des avantages importants », explique la directrice. La Bambinerie a finalement recruté une accompagnante et s’emploie à la former sur le tas.
« Ces réunions nourrissent la cohésion d’équipe et le sentiment d’appartenance, on travaille un socle commun, pour éviter les déphasages qui pourrait percoler jusque dans le groupe d’enfants, dont l’énergie est forcément débordante », remarque Jocelyne. Il est presque 20 h 30, la réunion d’équipe se poursuit sans la psychologue pour préparer la rentrée de septembre. Et demain, la crèche ouvrira ses portes à 8 heures, comme tous les jours.

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