Ces départements qui agissent pour les aides à domicile (1)
Les conditions de travail des aides à domicile sont difficiles, compromettant leur santé mais aussi la qualité de service. Des départements tentent d’y remédier. Santé & Travail a enquêté sur les leviers qu’ils actionnent pour ce faire. Premier exemple dans les Landes.
Et si les exécutifs départementaux avaient la main pour influencer les conditions de travail des aides à domicile ? Dans une tribune publiée dans Le Monde en mai dernier, deux économistes, François-Xavier Devetter et Julie Valentin, défendaient cette thèse. Ce sont en effet les départements qui fixent le tarif de l’heure d’aide à domicile ainsi que le temps d’intervention, avec des marges de manœuvre variables. Ils peuvent aussi influer sur le statut des personnels, notamment en recrutant des aides à domicile dans la fonction publique territoriale, à côté des associations à but non lucratif ou des entreprises des services à la personne.
Selon les règles et conventions collectives applicables, les conditions d’emploi et de travail des professionnelles de l’aide à domicile ne seront pas les mêmes. Existe-t-il pour autant des configurations plus favorables que d’autres pour ces salariées ? Pour tenter de répondre à cette question, Santé & Travail a décidé de se pencher sur le cas du département des Landes, qui a choisi de longue date de privilégier une organisation publique de l’aide à domicile.
Engagement public
Dans ce territoire, 70 % des professionnelles sont employées par les centres intercommunaux d’action sociale (CIAS), tandis que le petit tiers restant relève du secteur associatif. « C’est un choix qu’il faut assumer et il faut parfois apporter des subventions d’équilibre. Pour autant, nous sommes sûrs de la qualité de nos prestations, avec moins d’opacité sur la nature des prestations effectuées », souligne Paul Carrère, vice-président du conseil départemental, chargé de la solidarité. Le département revendique ainsi un taux d’encadrement des aides à domicile plus élevé qu’ailleurs, avec le soutien des intercommunalités qui équilibrent les comptes elles aussi.
Pour appuyer cette politique globale, le département a activé très tôt sa quête de fonds additionnels en contractualisant dès 2004 avec la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), dans une logique de modernisation de l’aide à domicile. Un service dédié à ce métier a été créé en ce sens, au sein du centre de gestion des Landes, chargé d’assister les collectivités locales dans la gestion RH de ces personnels au sein de la fonction publique territoriale. Si son principal objectif est d’assurer une meilleure « qualité » des interventions, l’amélioration des conditions de travail des aides à domicile faisait dès le début partie de son spectre d'intervention.
Groupes de parole
Trois psychologues du service animent ainsi des groupes de parole dédiés à cette profession, à raison de deux heures par trimestre. Une mesure institutionnalisée de longue date dans les Landes, alors qu’elle doit être négociée avec les financeurs dans d'autres territoires. Le temps passé à ces réunions est rémunéré pour les aides à domicile. Les séances sont en principe accessibles à tous les CIAS, même si plusieurs syndicats pointent des trous dans la raquette. « C’est le seul moment, avec les réunions de planning, pendant lequel les aides à domicile peuvent se voir. Cela permet d’évoquer son mal-être, des problèmes tels que des difficultés avec les bénéficiaires, avec les référents de secteur qui font les plannings. Il faudrait plus d’heures », estime Marie-Chantal Dumoulin, secrétaire générale du syndicat CGT des territoriaux dans les Landes d’Armagnac, l’une des communautés de communes dotée d’un CIAS.
Au-delà de ces groupes de parole, d’autres moments d’échange sont aussi pris en charge. Par exemple, dans le CIAS du Grand Dax, les aides à domicile disposent d’une heure et demie par mois de temps de travail « en équipe ». « Ce temps permet de faire passer des messages aux aides à domicile, mais aussi et surtout qu’elles échangent entre elles, évoquent des situations », indique le directeur, Vincent Benoît. Depuis 2021, la communauté d’agglomération du Grand Dax a également décidé de financer trente minutes supplémentaires chaque mois sur les temps d’intervention pour « des choses qu’on ne voit pas », selon les termes de Vincent Benoît, tels que des trajets d’aides à domicile pour venir récupérer des équipements de protection auprès de leur service, ou les appels téléphoniques à la responsable de secteur...
L’enjeu du temps de travail
Ce récent coup de pouce, certes symbolique, rappelle la centralité de l’enjeu de la rémunération. Le temps de travail rémunéré, levier souvent actionné pour attirer de nouvelles candidatures dans un contexte de pénurie ou pour éviter des départs, a aussi un impact direct sur la santé au travail. Dans une thèse consacrée aux facteurs organisationnels de risques d’accidents dans les secteurs du sanitaire et du médico-social, soutenue en 2022, Stéphane Coillard, chercheur en gestion à l’université de Pau et des Pays de l’Adour, a en effet établi un lien favorable entre temps plein et réduction de la sinistralité. « Les temps pleins réduisent l’incertitude professionnelle et le sentiment de précarité, générateurs de risques », indique-t-il. La valorisation des temps de réunion peut, quant à elle, renforcer « la capacité à produire, à penser le travail, ce qui génère de l’estime de soi, de la cohésion d’équipe », estime le chercheur.
C'est pourquoi la rémunération des temps de trajet – une problématique courante dans le secteur – constitue un autre enjeu majeur. Le CIAS du Grand Dax a choisi de longue date de payer des périodes de dix minutes entre chaque vacation, afin de couvrir le temps de trajet entre deux domiciles, en plus du temps d’intervention financé par le département lui-même. Ce forfait, indépendant de la durée effective de trajet (inférieure ou supérieure), peut se transformer en une dizaine d’heures payées en plus par mois. « Cela évite de trop se dépêcher sur la route », remarque Christelle Lassoureille, responsable de secteur au CIAS du Grand Dax et déléguée Unsa.
Appui technique
L’usure professionnelle des aides à domicile a aussi conduit le département à solliciter l’aide de la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail (Carsat) dans le cadre de son programme « aidants aidés ». Cette démarche s’est traduite par une forte progression du taux d’équipement des professionnelles en matériel adapté : draps de glisse, aide à la manutention, petit outillage... « Là où, il y a dix ans, il pouvait y avoir 5 kits pour 80 agents, par exemple, aujourd’hui quasiment la totalité est couverte en principe », poursuit Jérôme Laffittau, ingénieur qualité au centre de gestion des Landes.
Au-delà de la fourniture de matériels techniques, les CIAS avaient aussi besoin de construire une stratégie de prévention. Une démarche menée par Vincent Benoît au sein du CIAS du Grand Dax. « En 2016, quand je suis arrivé, le cadre de travail n’était pas très sécurisé. Les publics demandaient aux aides à domicile de faire des choses qui n’étaient pas vraiment conformes au métier », témoigne-t-il. De ce constat sont nées plusieurs mesures. Dès 2019, une procédure écrite de signalement à destination des aides à domicile qui rencontrent des problèmes dans le cadre de leurs interventions a été mise en place. Deux aides à domicile sont devenues assistantes de prévention à mi-temps la même année. Elles ont pour mission de former les nouvelles arrivantes aux gestes de premier secours mais aussi les sensibiliser aux risques professionnels en les incitant à remonter tout problème. Et depuis juillet 2023, elles ont aussi pour tâche de vérifier l’état des domiciles des bénéficiaires, la sécurité électrique, le matériel et les produits à disposition des aides ménagères ou encore la présence des équipements nécessaires à la réalisation de leurs missions, comme la présence d’un fauteuil pliable pour une garde de jour, etc. La première heure de cette intervention est prise en charge par le département.
Des résultats et des limites
Une dynamique qui semble produire des résultats. Entre 2019 et 2022, le nombre d’accidents du travail est passé de 37 par an à 14, et il s’est encore réduit en 2023. « Avant, il y avait davantage d’accidents liés aux manutentions et aux chutes », remarque Alexandra Nunes, l’une des auxiliaires de vie devenue assistante de prévention. Une baisse très rapide de l'accidentologie qu’elle relie avant tout à une baisse du stress au travail. « On sait que les troubles musculosquelettiques ont un lien avec les risques psychosociaux. Vu que les aides à domicile sont plus écoutées, préparées, elles sont moins contractées au travail », analyse-t-elle. La mise en place d’une visite technique à domicile, associée à un engagement de la direction à intervenir en cas de problèmes, contribue à ses yeux à diminuer les risques de conflits avec les usagers et à s’assurer de bonnes conditions d’intervention.
Le cas encourageant du Grand Dax reflète-t-il pour autant la situation de l’ensemble du territoire ? Le problème est que « la situation d’un CIAS à l’autre peut être différente », avec un département qui « ne peut pas s’immiscer dans la gestion par les collectivités », regrette Marie-Chantal Dumoulin de la CGT. « Il n’est pas facile de faire reconnaître que le temps de trajet est un temps de travail, c’est au bon vouloir de la structure », note Isabelle Bertrand, aide à domicile détachée auprès du syndicat CFDT des agents publics et territoriaux des Landes. Les organisations syndicales pointent aussi certains défauts du modèle public, tels que la précarité des premières années d’activité avant que les aides à domicile n’accèdent à la titularisation. Elles aimeraient avoir des conditions davantage unifiées et contrôlées d’un CIAS à l’autre.
Manque d’effectifs
Pour y voir plus clair, le département et la région Nouvelle-Aquitaine ont cofinancé une enquête menée auprès de quelque 800 aides à domicile landaises par l’Institut en santé publique, épidémiologie et développement (Isped), rattaché à l’université de Bordeaux. Selon les résultats provisoires de l’étude, 80 % des professionnelles estiment avoir une « bonne qualité de vie au travail », portée par le sens perçu du métier, un sentiment d’autonomie et de bonnes relations avec les bénéficiaires. En revanche, 53 % estiment ne pas percevoir une rémunération juste pour le travail fourni, 54 % s’estiment mal indemnisées pour leurs déplacements et 45 % déplorent un manque d’effectifs conduisant à de la surcharge de travail. « A cause du manque d’effectifs, nos plannings bougent. J’ai le cas d’une aide à domicile qui accumulé 44 heures de travail sur plusieurs semaines. Les responsables de secteur ont trop de pouvoir sur nos emplois du temps, c’est l’une des plus importantes sources de risques psychosociaux », affirme Isabelle Bertrand, du syndicat CFDT.
Malgré la mobilisation du département, des problèmes demeurent. « Le métier est tellement usant que nos efforts en matière de qualité de vie au travail, de prévention, de formation, ne sont pas suffisants. Mais si on investissait moins, ce serait pire », juge Jérôme Laffitau, du centre de gestion des Landes. Au département, on confirme une forte variabilité des taux d’absentéisme, tant au niveau des structures associatives que des CIAS. « Malgré tout ce que l’on a financé, il faut continuer la modernisation de nos services à domicile », souligne Delphine Ruffat, responsable du pôle Personnes âgées au département. C’est pourquoi le département a de nouveau contractualisé avec la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie afin de verser une « dotation qualité » dont le principe est de rémunérer 3 euros de plus l’heure d’aide à domicile, en plus du tarif pratiqué par le conseil départemental, actuellement autour des 23 euros. Une partie doit en principe être investie dans la qualité de vie et des conditions de travail.
Que peut-on donc conclure à propos du modèle landais ? Le département se distingue par sa dynamique « très positive », estime Sandrine Paradis, ingénieure-conseil à la Carsat Aquitaine, avec des moyens investis en structuration et en encadrement, mais, selon elle, « le statut, public ou privé, ne va pas déterminer l’indice de fréquence d’accidents ». D'après l'ingénieure-conseil, c’est avant tout « la volonté des directions de soigner les conditions de travail des salariés » qui va jouer, et la manière dont elles s’approprient les moyens concrets qui leur sont dédiés afin d’animer des démarches de prévention qui soient efficaces.
Temps de travail partiel et morcelé, conciliation difficile avec la vie personnelle, charge émotionnelle, manque de temps et de moyens, isolement, gestes répétitifs… Ces conditions de travail, les aides à domicile les vivent au quotidien et davantage en moyenne que d’autres femmes, soulignait la direction des statistiques du ministère du Travail (Dares) dans une étude publiée en 2021. Cette concentration de risques pose des défis jusqu'ici irrésolus aux politiques de prévention et de santé au travail : les aides à domicile sont surexposées aux accidents du travail comme aux troubles musculoquelettiques, ainsi qu’à la souffrance psychique. Même s’il existe, ici ou là, des expériences volontaristes consistant à prendre soin des aides à domicile.
A lire aussi, notre enquête : « Prendre soin des aides à domicile, c'est possible ! », par Corinne Renou-Nativel, Santé & Travail n° 108, octobre 2019.