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Intelligence artificielle : le risque d’un travail déshumanisé

par Nathalie Quéruel / janvier 2021

Chez Pôle emploi, les algorithmes moulinent, secondant les conseillers qui accompagnent les chômeurs. L’industriel Safran expérimente des cobots qui, besognant aux côtés des ouvriers, les délestent de tâches répétitives. Chez Publicis, un outil d’intelligence artificielle assemble, le temps d’un projet, des équipes virtuelles et éphémères de par le monde... Les technologies émergentes sont bel et bien à pied d’œuvre, dessinant dès maintenant l’avenir du travail. Pour le meilleur ou pour le pire ? On pourrait se réjouir qu’elles soulagent les salariés d’activités fastidieuses, pénibles ou ingrates, leur permettant de développer d’autres compétences enrichissantes. Ou, au contraire, s’inquiéter qu’elles les privent de tâches essentielles qui donnent sens à leur métier, les cantonnant dans des emplois précaires et sous-payés. On pourrait tout autant s’enthousiasmer pour l’autonomie qu’elles peuvent donner aux travailleurs que s’effrayer du contrôle qu’elles sont capables d’exercer sur eux. Rien n’est cependant écrit. A quelles conditions ces technologies, qui entremêlent plus étroitement l’homme et la machine dans la production de biens ou de services, ne seront-elles pas dommageables, notamment pour la santé des salariés ? Il est essentiel que ces derniers participent à la réflexion sur leur déploiement et leur usage, pour que la redistribution des rôles soit positive. Et il revient aux représentants du personnel de mettre sur la table ce débat sur le travail d’un genre inédit.

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Les élus du personnel face au défi du numérique

par Clotilde De Gastines / janvier 2021

Guides, fiches de négociation, sessions de formation… Syndicats et experts se mobilisent pour accompagner les représentants des salariés sur les transformations digitales. Des projets complexes qui leur demandent de s’impliquer en amont.

Le 22 juin dernier, les partenaires sociaux européens ont signé un accord-cadre sur le numérique. « Toutes les évolutions liées à la digitalisation devront être coconstruites et examinées systématiquement sous l’angle des conditions de travail », se félicite Jean-Luc Molins, secrétaire national de l’Ugict-CGT. En attendant la transposition nationale de l’accord d’ici trois ans, les syndicats ne sont pas en reste. A l’instar de Force ouvrière, qui organisait en octobre dernier un colloque « Numérique et intelligence artificielle ». Les élus du CSE disposent désormais d’une panoplie d’outils variés. Sur le site lenumeriqueautrement. fr, l’Ugict-CGT propose par exemple des guides et des fiches de négociation, réalisés avec le cabinet d’expertise Technologia. De son côté, le groupe Secafi a publié un guide pratique pour aider les représentants des salariés à intervenir dans les projets de digitalisation de l’industrie.

Présents à chaque étape

Les experts insistent sur la nécessité d’utiliser tous les leviers existants pour peser dans le processus le plus tôt possible. « La plupart du temps, les élus attendent une information-consultation pour se pencher sur le sujet, constate Yoan Guérin, animateur national de l’accompagnement des transformations numériques chez Secafi. Alors qu’il est nécessaire d’anticiper les changements pour éviter les tensions. » D’autant plus que les ordonnances travail de 2017 ont réduit à un mois le délai de remise d’un avis. La complexité des transformations numériques et l’importance des enjeux impliquent d’être attentif à chaque étape : conception, mise en œuvre et ajustement du système mis en place. « Le premier point consiste à négocier un accord de méthode », estime Thibault Noël, expert chez Technologia, reconnaissant que « ce n’est pas le plus naturel et pas le plus simple ». Celui-ci permet en effet de définir un cadre de concertation à chaque avancée du projet, ainsi que les règles d’information des élus avec, par exemple, la mise en place d’une commission de suivi – « ce qui manque dans l’expertise pour projet important ou danger grave », précise-t-il.
Comme le terme d’accord de méthode est souvent associé aux restructurations, « nous préférons parler d’une information- consultation à tiroirs, qui décide du niveau d’implication des salariés et d’un calendrier », indique Yoan Guérin.

Des impacts humains

La démarche paritaire autour de la qualité de vie au travail (QVT) est aussi un bon instrument pour suivre les impacts humains au long cours des mutations numériques. La négociation d’un accord sur le bien-être au travail chez Renault, début 2021, devrait permettre d’encadrer le droit à la déconnexion, sujet psychosocial majeur qui fait l’objet d’une réflexion avec l’école des Mines de Paris. « Une analyse de différentes données, dont les arrêts de travail, a mis en évidence que les télétravailleurs intensifs font les plus belles carrières mais que, une fois malades, ils le sont plus longtemps », raconte Franck Daoût, délégué syndical central CFDT. Autant d’éléments à mettre sur la table pour que l’entreprise 4.0 ne dégrade pas les conditions de travail.

A LIRE
  • « L’industrie 4.0 », Collection Agir pour l’amélioration des conditions de travail, n° 11, Secafi, 2017.