© AdobeStock
© AdobeStock

JO 2024 : des accidents du travail qui font débat

par Corinne Renou-Nativel / 16 avril 2024

Pour plusieurs observateurs syndicaux, le bilan positif affiché en matière d’accidents du travail sur les chantiers des Jeux olympiques doit être nuancé. Il ne couvre pas tous les travaux liés à l’événement et résulte de moyens exceptionnels.

Quatre fois moins d’accidents du travail. C’est le bilan mis en avant par la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo) concernant les chantiers qu’elle a supervisés, au regard du nombre d’heures travaillées et comparativement à ce qui est constaté habituellement dans le secteur du BTP en la matière. « C’est pour nous une réussite d’avoir pu démontrer l’importance du contrôle au quotidien des chantiers », commente pour sa part Frédéric Mau, responsable syndical au sein de fédération CGT de la construction, du bois et de l’ameublement (FNSCBA). « Même si ce n’est pas le paradis », précise-t-il.
Un bémol nécessaire au vu du décomptes des blessés : sur un peu plus de 30 000 salariés passés sur les chantiers, il y a eu quand même 180 accidents de travail, dont 29 graves. Parmi eux, un ouvrier dont les jambes ont été écrasées par un camion en janvier 2022, sur le village des athlètes, et un autre tombé du cinquième étage sur le village des médias, en août 2022, qui conserveront des séquelles à vie. « Ce bilan dénote simplement à quel point c’est l’hécatombe sur les chantiers ordinaires », relève Simon Picou, de la CGT-Inspection du travail. Le secteur du BTP compte environ 200 morts par an, soit quasiment un par jour ouvré.

Contrôle renforcé

Pour les responsables syndicaux, ce bilan relativement satisfaisant sur les chantiers des Jeux olympiques (JO) est dû à la mise en place d’une charte sociale sur la proposition des confédérations CFDT, CFE-CGC, CFTC, CGT et FO, et ce dès la phase de candidature. L’un de ses seize engagements concerne la santé et sécurité au travail, en particulier pour la construction des infrastructures. La charte sociale n’intègre pas de nouveaux droits pour les salariés et relève plutôt de l’engagement politique et moral. Un engagement qu’il a fallu concrétiser.
« La Solideo et le Cojop [Comité d’organisation des jeux olympiques et paralympiques] pensaient naïvement qu’avec ce texte les employeurs allaient se montrer respectueux du droit et de la santé des salariés, explique Jean-Marc Candille, secrétaire national de la fédération CFDT construction et bois, en charge du suivi des grands chantiers et membre du Comité de suivi de la charte sociale. Nous avons eu grand mal à faire comprendre qu’il ne suffisait pas d’avoir une charte : il fallait pouvoir contrôler son application. Nous avons bataillé pour que les membres du comité de la charte aient accès aux chantiers du village olympique. »
Pour mener à bien ce contrôle, une équipe d’inspecteurs du travail, l’Unité régionale d’appui et de contrôle des grands chantiers (URACGC), a également été mise en place en Île-de-France fin novembre 2019. Elle mobilise huit agents de contrôle et un responsable, essentiellement pour les travaux des Jeux olympiques ainsi que pour le Grand Paris express. Un levier de prévention important. Cependant aucun poste d’inspecteur du travail n’a été créé, ces effectifs ayant été prélevés ailleurs. « Au même moment pour la seule Ile-de-France, 45 postes d’inspecteurs du travail ont été supprimés », souligne Simon Picou.

Sous les projecteurs

« On a déshabillé Paul pour habiller Jacques, renchérit Valérie Labatut, responsable syndicale à la CGT-Inspection du travail. Une politique à géométrie variable menée par le ministère du Travail qui vise à éviter un coup de projecteur défavorable sur les chantiers des JO. Pour rappel, 740 postes en équivalent temps plein ont été supprimés au sein de l’inspection du travail entre 2015 et 2021, soit 16 % des effectifs. Les chantiers des JO, c’est l’arbre qui cache la forêt de la pénurie générale en matière de prévention. »
Au sein de l’URACGC, une brigade se charge de suivre la santé, la sécurité et la conduite des chantiers, une autre veille au respect du droit pour les personnels. « Le Code du travail ne se découpe pas en tranches. Le travail illégal et les infractions à la sécurité vont de pair », commente Simon Picou. Autre regret exprimé par les responsables syndicaux : l’absence dans la charte sociale de limitations apportées à la sous-traitance en cascade, réputée très accidentogène. Celle-ci est pourtant bien présente sur le terrain, comme l’ont révélé les inspections sur les chantiers des JO, qui ont notamment mis à jour la présence de travailleurs sans papiers. Environ 150 d’entre eux ont pu être régularisés par la préfecture de Seine-Saint-Denis, une décision évidemment liée au fait que les JO servent de vitrine mondiale pour la France.

Découpages problématiques

Le bilan plutôt positif en matière d’accidents affiché par la Solideo pose aussi la question du périmètre sur lequel il a été établi. Celui-ci n’inclut que les constructions supervisées par la Solideo et non tous les chantiers liés aux JO. « L’Adidas Arena, qui va accueillir des épreuves olympiques, n’en fait pas partie, ni la marina du Roucas-Blanc, à Marseille, ni d’autres chantiers en province », note Simon Picou. Le chantier du bassin d’Austerlitz, qui a pour objectif de rendre la Seine baignable pour les épreuves des JO, est supervisé par la Mairie de Paris et non par la Solideo. Or un chef d’équipe, Amara Dioumassy, y est mort en juin 2023, percuté par un camion. Un décès non comptabilisé, donc. Pas plus que les six décès déplorés sur les chantiers du Grand Paris express, dont trois à la gare Pleyel. Pourtant ces infrastructures de communication et de transport figuraient bien dans le dossier de candidature de Paris pour les JO 2024.
« Ces chantiers du Grand Paris qui descendent ou ont lieu sous terre sont plus accidentogènes, souligne Jean-Pascal François, secrétaire fédéral à la FNSCBA-CGT. Nous nous battons pour que les organisations syndicales puissent assurer un même suivi que pour les chantiers des JO. » L’accidentologie des chantiers éphémères qui viennent de s’ouvrir, comme le mini-stade temporaire de la place de la Concorde ou le stade équestre du château de Versailles, ne sera pas non plus comptabilisée dans le bilan de la Solideo. Il en sera de même pour les futurs travaux de transformation des chambres destinées à recevoir les athlètes en logements pour des particuliers, pris en charge par de petites entreprises avec des personnels moins stables, après la fin des épreuves.
Valérie Labatut pointe enfin la situation des bénévoles, avec pas moins de 45 000 personnes ayant répondu à l’appel. « La charte du bénévolat présente tous les éléments qui caractérisent, au regard de la jurisprudence, une relation de travail et un lien de subordination, précise-t-elle. Respect des horaires et des consignes de travail, contrôle de leur bonne exécution, possibles sanctions, port d’uniformes… Pourtant, si un bénévole a un accident, il ne sera pas couvert par le régime des accidents du travail de la Sécurité sociale, ce qui peut avoir de lourdes conséquences en termes de prise en charge et d’indemnisation. »