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S'émanciper de la religion du chiffre

par François Desriaux / juillet 2012

Les médecins du travail, les élus de CHSCT et leurs experts ont-ils tous reçu la mallette du " petit épidémiologiste " à leur entrée en fonction ? En une vingtaine d'années, la religion du chiffre dans le domaine de la santé au travail s'est imposée. Impossible aujourd'hui d'aborder un problème dans une entreprise sans aligner d'abord une série de tableaux Excel. Or autant les grandes enquêtes nationales ou européennes sur les conditions de travail ont fait progresser les connaissances et le débat social, autant il est permis de douter que la production de données au niveau local ait les mêmes vertus.
A bien des égards, l'énergie dépensée pour produire des statistiques est contre-productive. Déjà, parce que vouloir faire la preuve par neuf que le problème de santé identifié est bien dû au travail ne donne pas forcément d'indications sur les remèdes. Ensuite, parce que l'élaboration de " camemberts " éloigne souvent les acteurs du terrain, les privant ainsi de précieuses ressources pour transformer le travail. Enfin, parce qu'il n'est pas rare que les enquêtes locales s'affranchissent de règles élémentaires, tant méthodologiques que déontologiques.
Alors, avant de se lancer dans une enquête chiffrée, il faut bien réfléchir à l'utilisation qui en sera faite, puis préserver, tout au long de la démarche, la confrontation des points de vue.

L'abus de statistiques nuit à la santé au travail

par Serge Volkoff statisticien, directeur du Centre de recherches et d'études sur l'âge et les populations au travail (Créapt) / juillet 2012

Réalisées à l'échelle d'un territoire, les enquêtes statistiques sur les liens entre santé et travail ont pour intérêt d'alerter sur les situations devant être améliorées. Mais attention : les reproduire au niveau de l'entreprise peut s'avérer contre-productif.

C'est une vieille histoire. Pratiquement depuis que la statistique existe, elle s'est mêlée de santé, de travail, voire des liens entre les deux. C'est particulièrement vrai en France. L'hygiéniste Louis René Villermé, considéré comme un des pionniers de la médecine du travail, fut aussi l'un des fondateurs de la Société de statistique de Paris en 1860. En 1893, un autre médecin, Jacques Bertillon, fit adopter par l'Institut international de statistique, à Chicago, deux projets de classification, des professions d'une part, des maladies d'autre part ; il désignait la profession comme facteur de risque et plaidait pour que des études de mortalité relient les métiers et les causes de décès. A la fin du XIXe siècle, après la création de l'Inspection du travail, plusieurs séries statistiques sur le travail furent constituées. Elles jouèrent un rôle important pour légitimer la création d'un ministère du Travail en 1906. Entre-temps, la loi de 1898 sur l'indemnisation des accidents du travail avait fondé la notion de risque professionnel sur une base statistique.

Le tournant des années 1970

Certaines caractéristiques du dispositif français de statistiques sur le travail et...

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