Nathanaël Mergui/FNMF

Pesticides, gestes répétitifs, précarité... Le risque est dans le pré

par François Desriaux / octobre 2013

Souvent, ils ont choisi ce métier d'agriculteur parce qu'ils aiment la nature, qu'ils sont épris de liberté et de vie au grand air. Et puis, quoi de plus noble que de nourrir la terre et les hommes ? Mais ça, c'était avant. Le travail agricole n'est plus ce qu'il était. Soumis à des contraintes productives renforcées, imposées en amont par les semenciers ou des normes de qualité et en aval par les coopératives agricoles ou la grande distribution, le travail s'est intensifié, standardisé, précarisé aussi. A une activité qui reste pénible physiquement, malgré la mécanisation, est venue s'ajouter une charge mentale élevée. Accusés de polluer les eaux et les sols avec les engrais, les agriculteurs sont souvent montrés du doigt quant à la piètre qualité de ce qui arrive dans nos assiettes. Difficile d'être fier de son travail quand les journaux de consommateurs font leur une sur les légumes sans goût, la viande bourrée d'antibiotiques et les fruits chargés de pesticides. Mais on oublie un peu vite que les travailleurs de la terre sont les premières victimes des produits phytosanitaires, et des cancers et maladies neurodégénératives qui vont avec. Un million de personnes travaillent dans l'agriculture aujourd'hui en France. Il serait peut-être temps d'inventer un modèle productif plus respectueux de l'environnement, de notre alimentation et de leur travail.

Quand les saisonniers récoltent plus de précarité

par Clotilde de Gastines / octobre 2013

L'agriculture a toujours fait appel à des travailleurs saisonniers. Mais la précarité de leur statut et de leurs conditions de travail s'est aggravée avec le développement de nouveaux types de contrat. Une évolution décriée, mais difficile à enrayer.

Chaque jour, 300 000 contrats de saisonniers sont signés en moyenne dans les exploitations agricoles françaises. Les travailleurs saisonniers viennent en renfort surtout au moment des récoltes de fruits et légumes en Languedoc-Roussillon, de melons en Pays-de-la-Loire et en région Provence-Alpes-Côte d'Azur, ainsi que pour les vendanges en Aquitaine, Rhône-Alpes et Champagne. Et leurs conditions de travail et de rémunération comme leur protection sociale sont très variables, selon leur contrat et leur statut, plus ou moins précaires.

"La flexibilité est une nécessité économique", considère Sylvie de Bosredon, viticultrice périgourdine. Son exploitation de 70 hectares fonctionne avec treize permanents et une trentaine de saisonniers. Trois d'entre eux "sont en contrat à durée déterminée, dont la durée n'est pas fixée", signale la viticultrice Ils touchent une prime de précarité ainsi que des allocations chômage s'ils justifient de quatre mois d'activité. Ils sont affiliés à la Mutualité sociale agricole et suivis par la médecine du travail. En revanche, les conditions de leur accès à la couverture maladie sont drastiques. S'ils ne justifient pas de 800 heures de travail ou s'ils n'ont pas cotisé sur 2 030 fois le Smic horaire, ils doivent se contenter de la couverture maladie universelle (CMU

Travailleurs occasionnels

Une autre partie des saisonniers effectue des contrats plus courts, en hiver. Ils sont aussi déclarés auprès de la MSA et passent une visite médicale à l'embauche, comme à chaque reprise après interruption de travail. Enfin, à l'automne, lors des vendanges, l'exploitation fait appel à une vingtaine de travailleurs occasionnels. Un statut spécifique, sans prime de précarité et sans suivi médical. Il s'agit généralement de jeunes, parfois étudiants, de femmes, de demandeurs d'emploi ou de gens du voyage.

Depuis peu, des entreprises de prestation de services ou d'intérim européennes s'implantent en Dordogne. Cette année encore, une société polonaise a proposé aux Bosredon les services d'intérimaires à 11,90 euros de l'heure, payables sur facture, "sans aucune formalité à accomplir". Pas de bulletin de salaire, de déclaration Urssaf, de cotisations sociales. Le couple a ignoré cette proposition, "pour des raisons éthiques". Mais il constate l'extension du procédé dans la région. "Quand on ne peut pas délocaliser la production, c'est tentant de délocaliser la main-d'oeuvre", commentent-ils.

Les statistiques de migrations agricoles sont stables depuis 2007. Les migrants sont près de 15 000. Mais avec des évolutions. Désormais, la moitié seulement est sous contrat Ofii (Office français de l'immigration et de l'intégration) et l'autre moitié sous le nouveau statut européen de travailleur détaché. Ce dernier a détrôné le statut Ofii, plus contraignant pour l'employeur bien que peu protecteur. Venus en moyenne pour quatre à huit mois, seuls 38 % des saisonniers Ofii passent une visite médicale. Et dès que leur contrat s'arrête, l'autorisation de séjour, l'obligation d'hébergement et la couverture maladie sont suspendues.

Avec le détachement, l'exploitant devient un simple donneur d'ordres. Les travailleurs détachés sont nourris et logés par le prestataire, qui retient parfois une partie de leur salaire pour ces "avantages". Ils sont souvent isolés, sous la menace de non-réemploi, ce qui garantit leur docilité. Dispensés de visite médicale, ils doivent être affiliés au régime de sécurité sociale du pays du prestataire, censé s'acquitter des cotisations sociales. Une donnée difficile à vérifier. Notamment quand la société emploie des non-Européens, comme Terra Fecundis, société d'intérim espagnole qui détache 2 300 Latino-Américains dans les Landes, le Var... "Dans la majorité des cas, les règles ne sont pas respectées, critique Fabien Guimbretière, de la FGA-CFDT. Une saisonnière bulgare me racontait qu'elle avait travaillé en France pour 1,92 euro de l'heure, alors qu'elle aurait dû gagner le Smic En avril dernier, un rapport parlementaire évoquait le nombre de 7 636 détachés agricoles légaux en 2011, un chiffre en hausse de 1 000 % depuis 2004, et dénonçait un trading de main-d'oeuvre" et des "pratiques mafieuses".

Salariés mis en concurrence

Avec le développement de ces contrats, "les saisonniers sont davantage précarisés", estime Francis Poignet, sociologue du cabinet Place. "Des actifs installés, conscients de leurs droits, parfois migrants de la première génération, sont mis en concurrence avec les nouveaux migrants et les détachés", note-t-il. De fait, la fin de l'exonération sur les cotisations accidents du travail et maladies professionnelles pour les contrats saisonniers a triplé l'intérêt financier de passer par une entreprise d'intérim européenne, qui en est exonérée. Ironie du sort, cette mesure devait responsabiliser les employeurs agricoles en matière de prévention des risques professionnels...

Or il y a fort à faire de ce point de vue : intensité du travail, journées à rallonge et gestes répétitifs sont des marqueurs du travail saisonnier. A cause des aléas météorologiques, la durée légale du travail est extensible. Les dérogations prévoient une durée effective maximale de 10 heures par jour, avec une présence de 12 heures, et une durée maximale hebdomadaire moyenne de 48 heures. Sachant qu'il est difficile de contrôler le respect de ces maxima. Certains types de contrat n'en prévoient d'ailleurs pas.

Repères

Sur près d'un million d'actifs agricoles, 80 % sont des chefs d'exploitation ou des membres de leur famille (conjoints et aides familiaux). S'y ajoutent 154 000 salariés permanents, dont 65 % à plein-temps (aux trois quarts des hommes, ayant 40 ans en moyenne). Enfin, chaque année, 800 000 contrats saisonniers sont signés (aux deux tiers par des hommes, de 33 ans en moyenne). Les maraîchers, horticulteurs et arboriculteurs sont les plus demandeurs de main-d'oeuvre salariée, avec en moyenne près de 5 personnes par exploitation.

Ainsi, en Gironde, prévaut une organisation du travail viticole originale : le système du "prix-fait". Les salariés sont rémunérés à la tâche, avec des primes de qualité et de sécurité pouvant atteindre un salaire de cadre. "Le prix-faiteur gère son rythme de travail, ce qui facilite l'encadrement, explique Xavier Merlin, de l'Association régionale pour l'amélioration des conditions de travail (Aract) Aquitaine. Mais c'est un facteur aggravant pour les troubles musculo-squelettiques, car il augmente les durées d'exposition et le stress et réduit les temps de récupération." Par conséquent, la population est "assez abîmée", remarque Franck Chabut, de la MSA Gironde. La moitié des travailleurs viticoles souffrant de TMS vivent en Gironde...

Heureusement, des pistes existent pour générer des emplois moins précaires et de qualité. Comme la constitution de groupements d'employeurs. On en compte 3 500 aujourd'hui, et 25 % de leurs effectifs sont en CDI. Sabrina Mérin, ergonome, a accompagné un de ces groupements, constitué de quatre agriculteurs en polyculture avec élevage de volailles, d'une entreprise d'extraction de sable et d'une coopérative d'utilisation de matériel agricole. Ensemble, ils ont pu recruter un salarié, occupé alternativement au cours de l'année sur différentes tâches. Avec la mise en place d'un calendrier prévisionnel, afin d'anticiper l'organisation du travail et d'éviter les effets délétères d'une polyvalence mal conçue. Mais ce type de solution reste fragile.

De leur côté, les acteurs de contrôle, les partenaires sociaux et des associations, comme les maisons des saisonniers ou encore le Groupe d'information et de soutien des immigrés (Gisti), se mobilisent. "C'est très difficile de faire vivre l'accord de 2002 sur le travail saisonnier, confie Edwina Lamoureux, secrétaire nationale de la FGA-CFDT en charge des conditions de travail. Nous n'avons toujours pas trouvé d'accord sur la pénibilité avec la FNSEA et les différentes familles de l'agriculture, qui ne reconnaissent pas la nécessité de prendre en charge la compensation/réparation." , Et d'ajouter : "Il n'est pas non plus facile de suivre les salariés dans le secteur agricole en France. Alors, comme pour les migrants, notre premier objectif est d'agir sur leur connaissance des droits et des risques, notamment en créant des guides en plusieurs langues." En juillet dernier, la FGA-CFDT et le syndicat bulgare Podkrepa ont distribué des tracts en bulgare dans des champs de melons charentais.

Le poids des conditions de travail dans l'émancipation des agricultrices
Isabelle Jay ergonome

En vingt-cinq ans, la situation des agricultrices a nettement évolué, passant de sans-statut à travailleuses déclarées au régime agricole. Si la société reconnaît désormais leur travail, cette avancée majeure se limite à la question de l'emploi. Mais qu'en est-il au niveau des conditions de travail ? Les observations qui suivent ne sont pas le résultat d'une étude statistique mais le reflet de situations vécues par des agricultrices rencontrées au cours de plusieurs interventions ergonomiques. Globalement, l'arrivée de nouvelles techniques a permis aux agricultrices d'accéder à certaines tâches autrefois affectées aux hommes et de soulager leurs conditions de travail. Cependant, si l'on constate une évolution vers une parité professionnelle, une exploitation exclusivement féminine semble difficilement viable.

Ainsi, dans le maraîchage biologique, les femmes sont à la tête de nombreuses exploitations. Or une étude menée en Haute-Savoie pour une association chargée du développement de l'agriculture biologique a montré qu'il était nécessaire pour les maraîchères de s'associer avec des hommes pour l'entretien des machines et les manutentions de charges lourdes. Pour plus d'autonomie, certaines choisissent d'organiser leur exploitation en privilégiant les travaux manuels par rapport aux travaux mécanisés, comme le désherbage, les plantations, le ramassage des récoltes, même s'ils exigent des gestes répétitifs et des postures pénibles. Mais ces choix vont dégrader directement leur santé ; la plupart des femmes rencontrées souffrent de troubles musculo-squelettiques aux épaules, coudes et poignets. Ces pathologies douloureuses et invalidantes impactent plus largement la charge de travail quotidienne et les inquiètent pour leur avenir.

Déplacer les limites

L'amélioration des conditions de travail peut néanmoins déplacer les limites des rapports sociaux de travail, les femmes voyant leur situation évoluer tant sur le plan de l'égalité professionnelle que de leur santé. Ainsi, dans les alpages isérois, l'amélioration des conditions d'hygiène des habitats a transformé le métier de berger, traditionnellement masculin. Aujourd'hui, de nombreuses bergères travaillent seules à la tête de troupeaux de plusieurs centaines de bêtes. Autre exemple : dans une exploitation horticole de Haute-Savoie, les associé(e)s ont choisi collectivement d'investir dans un nouveau bâtiment et d'utiliser un transpalette et un gerbeur, ce qui permet à chacun et chacune de manutentionner de lourdes caisses tout en prévenant les lombalgies.

Suite à des condamnations d'exploitants agricoles ayant eu recours à des sociétés de prestation de services, la MSA incite les agriculteurs, dans un guide spécifique, a` prendre leurs pre'cautions. "Le contrôle est facile dans la flagrance, juge un contrôleur MSA. Mais l'investigation est complexe, et le recouvrement est quasi impossible." Le levier pour endiguer le dumping social ? "Engager la responsabilité du donneur d'ordres", affirme-t-il. En 2014, avec la révision de la directive européenne, l'agriculteur devra au moins signaler à quelle entreprise de détachement il fait appel. Un tout petit pas.