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Changer le travail

par François Desriaux / octobre 2015

Changer l'organisation, changer le management, changer la gouvernance, changer la finalité même du travail... Bref, changer tout ! Explorer de nouvelles voies pour sortir de l'intensification du travail, de la course effrénée à la productivité, mais aussi du travail de mauvaise qualité qui ne permet pas de s'épanouir et dégrade la santé. Modifier la production pour respecter l'environnement ou gagner en utilité sociale. Adopter de nouvelles organisations pour sortir de la crise, car, au-delà des risques psychosociaux et de l'épuisement des ressources humaines, leur efficacité est en question. A avoir trop ignoré le travail réel, qui crée la valeur économique, au profit de sa seule traduction financière, le capitalisme va droit dans le mur. Ce ne sont pas des ergonomes qui le disent, mais des experts en management et en gestion. Et si la compétitivité des entreprises et l'efficacité des pouvoirs publics passaient par une métamorphose du travail ? Ce n'est plus une vue de l'esprit. Des entreprises se libèrent et se démocratisent, des managers abandonnent leur reporting pour se réinvestir sur le travail... Changer le travail, ça commence ici et maintenant !

Changer le travail : ce qu'il faut retenir

octobre 2015

Pourquoi faut-il travailler autrement ?

  • L'importance prise par les logiques financières dans l'organisation des entreprises et les choix productifs s'avère nuisible à l'économie comme à la santé des salariés. La financiarisation des entreprises s'est traduite par un pilotage de leur activité en fonction des seuls niveaux de rentabilité attendus par les investisseurs. Cela induit un type de fonctionnement qui irrigue désormais tout le tissu productif, y compris la fonction publique
  • Ce pilotage s'accompagne de la mise en place d'outils de gestion visant à quantifier le travail et à le traduire en indicateurs lisibles pour les marchés ou les décideurs économiques. Ces outils font écran au travail réel, le rendant invisible, lui et sa capacité à créer de la valeur. En outre, ces outils monopolisent l'encadrement, qui se retrouve coupé de l'activité réelle. Enfin, le renseignement des indicateurs peut donner lieu à des manipulations afin de "coller" aux objectifs fixés. Ce faisant, le reporting réalisé par les entreprises auprès des investisseurs et marchés se fait sur des bases tronquées et les rendements attendus ne se vérifient pas. Pour combler ce décalage, les marchés s'orientent vers des produits spéculatifs de plus en plus risqués, avec à la clé la survenue de crises graves, comme celle des subprimes
  • En faisant abstraction du travail réel, ces outils et modes d'organisation contribuent à en dégrader les conditions de réalisation. Ils peuvent être à l'origine de risques psychosociaux lorsqu'ils s'accompagnent d'une perte d'autonomie pour les salariés, de conflits de valeurs autour des objectifs de l'activité, de tensions dans les relations de travail. Enfin, la nature de certaines productions doit être questionnée. Le fait de produire des services ou biens nuisibles à la collectivité ou à l'environnement, au seul motif du profit ou de la croissance, n'épargne pas les salariés. Les enjeux éthiques posés par ces productions et les stratégies utilisées pour les justifier et mobiliser les salariés exposent ces derniers à des risques psychiques.

Des pistes à explorer

  • Afin de sortir de la crise actuelle du système productif et de préserver la santé des salariés, il est nécessaire de réfléchir à d'autres façons de travailler. Des pistes existent, tracées par certaines écoles de management et explorées par des entreprises.
  • Du côté de l'organisation, trois tendances ressortent. La première est le retour du management à la prise en charge du travail réel, dans un rôle d'accompagnement et de soutien face aux aléas de l'activité, mais aussi dans le but de redonner du sens au travail tel qu'il se fait. La deuxième est l'allégement des structures hiérarchiques et une plus grande autonomie octroyée aux salariés, censés participer davantage aux choix d'organisation. A l'image de ce que propose le mouvement de l'entreprise libérée. La troisième concerne la gouvernance, avec une meilleure représentation du travail dans les instances décisionnaires.
  • Au-delà de ces aménagements du fonctionnement des entreprises, certaines expériences vont plus loin en adoptant des modèles de production alternatifs. Avec quelques traits communs :
  • un retour à une logique de proximité en termes de production et de diffusion, conjugué au souci de répondre à des enjeux ou besoins sociaux, par exemple le respect de l'environnement ;
    • la volonté de modifier les rapports sociaux dans le travail, en réinvestissant les bénéfices ou en limitant les écarts de salaires, afin de construire un projet collectif et de faciliter les coopérations ;
    • une priorité donnée au long terme sur le court terme, en accordant notamment du temps aux échanges entre salariés mais aussi avec les destinataires de l'activité pour adapter l'organisation et l'outil de travail comme la production.
  • Bien sûr, ces pistes de transformation ne suffisent pas à garantir une amélioration de la santé au travail. Celle-ci viendra de surcroît, en fonction de la qualité des compromis construits autour de ces nouvelles façons de travailler.

L'exemple de trois entreprises

  • Les expériences menées pour "travailler autrement" sont forcément différentes selon l'activité des entreprises, leur histoire, etc. Nous en avons choisi trois.
  • A Ambiance Bois, menuiserie de 25 salariés située dans la Creuse, l'organisation du travail est gérée collectivement, de façon autogestionnaire. Il n'y a pas de hiérarchie, les salariés ont tous le même salaire et sont amenés à assumer l'ensemble des tâches de production et administratives via une polyvalence revendiquée, cela afin de ne pas reproduire la division traditionnelle entre travail intellectuel et manuel, entre rôle de décision et d'exécution. Ce fonctionnement permet à chaque salarié de gérer au mieux la pénibilité physique, en aménageant son temps de travail, le type de tâches à réaliser, etc.
  • Pocheco, entreprise industrielle d'une centaine de salariés qui fabrique des enveloppes dans le Nord de la France, a adopté depuis plusieurs années un mode de fonctionnement dit "écolonomique". Elle cherche à limiter l'impact de sa production sur l'environnement et la santé de ses salariés via des procédés écologiques, en en tirant des gains de productivité. Dirigée de manière collégiale par une instance de pilotage qui associe, outre le chef d'entreprise, des salariés et des élus du personnel, elle fonctionne sans hiérarchie. Les écarts de rémunération sont limités. Les bénéfices sont réinvestis en intégralité dans l'amélioration de l'outil et du cadre de travail et la prévention des risques. Ce qui semble assurer le bien-être des salariés.
  • Enfin, entreprise d'ingénierie en travaux publics et filiale d'un groupe international, Egis France a décidé d'adopter une nouvelle organisation conçue avec les salariés et fondée sur un renforcement de leur autonomie, une hiérarchie moins importante et des espaces de discussion sur l'activité. Un chantier malheureusement percuté par les pressions économiques et une réduction des effectifs, au point d'aggraver les conditions de travail, selon certains salariés.