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La politique peut-elle changer le travail ?

par François Desriaux / janvier 2012

En 2007, le vainqueur de l'élection présidentielle a su rallier les suffrages des classes populaires en promettant de revaloriser le travail. Mais ces promesses concernaient davantage le pouvoir d'achat que les conditions de travail. Ce n'est guère étonnant. L'action publique a souvent réduit la question du travail à sa durée, à l'emploi et au salaire, renvoyant les conditions de travail à la négociation sociale. Aujourd'hui, ce schéma ne tient plus. Après l'affaire de l'amiante, l'émergence de la souffrance psychique interpelle désormais les politiques sur le contenu même du travail et les contraintes dans lesquelles il s'effectue. La société peut-elle laisser s'installer des emplois où les salariés ne se reconnaissent plus dans leur travail ? Le rapport des forces sociales étant ce qu'il est, il semble bien que la seule réponse politique soit de redéfinir une nouvelle gouvernance des entreprises, là où se jouent les marges de manoeuvre pour changer le travail. Davantage de démocratie et de droit d'expression dans l'entreprise, cela mérite en tout cas un débat public.

Les atouts et limites du modèle coopératif

par Ivan du Roy / janvier 2012

Dans les sociétés coopératives et participatives, l'association des salariés aux choix économiques facilite l'amélioration des conditions de travail. Mais les contraintes du marché pèsent aussi, limitant le débat sur le travail lui-même.

Les sociétés coopératives et participatives (Scop)1 connaissent un regain d'intérêt. On en compte plus de 1 900 en France, employant près de 40 000 salariés. Leur particularité ? Les salariés peuvent en devenir " sociétaires ", en acquérant une part sociale de la coopérative. Ils ont alors la possibilité d'élire leurs dirigeants et de participer aux prises de décision sur l'évolution de l'entreprise. Chaque sociétaire dispose d'une voix, quel que soit le montant de sa participation financière. Autre spécificité : la richesse produite est redistribuée à la source. Les bénéfices sont répartis entre les réserves " impartageables " de l'entreprise, la participation et l'intéressement dont profitent les salariés et, enfin, les dividendes qui rémunèrent les sociétaires. Est-il pour autant plus facile d'y discuter de l'organisation du travail et de ses effets sur la santé des salariés ?

De meilleures relations sociales

" Nous pouvons faire l'hypothèse que les Scop sont plus innovantes en la matière, mais cela reste à démontrer ", estime Jacques Rastoul, ancien secrétaire confédéral de la CFDT, qui a longtemps suivi le secteur de l'économie sociale. " Nous ne disposons pas d'indicateurs spécifiques, mais nos capteurs, via les unions régionales, enregistrent peu d'alertes sur les risques professionnels, ainsi que des taux d'absentéisme et un turn-over faibles ", répond pour sa part Jacques Cottereau, vice-président de la Confédération générale des Scop. Une vue d'ensemble a priori positive que confirme Nadine Richez-Battesti, du Laboratoire d'économie et de sociologie du travail de l'université Aix-Marseille : " Sur la dimension des conditions de travail et celle des relations sociales, les coopératives sont généralement mieux placées que le secteur privé lucratif, et largement meilleures que les associations. " Les coopératives comptent 20 salariés en moyenne. Cela peut laisser penser, sans certitude, que le débat sur le travail y est plus aisé. Mais qu'en est-il dans les plus grandes ?

Rémy Garin travaille depuis trente-quatre ans aux Aciéries de Ploërmel (Morbihan). Il y est responsable sécurité et environnement. La fonderie, spécialisée dans le matériel ferroviaire, emploie une centaine de personnes. L'usine était au bord de la liquidation quand, en 2005, les salariés l'ont reprise en coopérative. " Plus de la moitié sont désormais sociétaires. Les gens ont leur mot à dire. Et cela bouge bien plus vite qu'avant. Nous avons beaucoup moins d'accidents du travail ", décrit-il. Une des demandes des salariés était de trouver un nouveau site. C'est désormais chose faite. Le déménagement a été l'occasion de mener un travail de prévention et d'aménagement des postes pour lutter contre les vibrations, mieux insonoriser les cabines ou éviter les troubles musculo-squelettiques (TMS). La question de la prévention des risques professionnels est donc bien prise en charge.

En revanche, les coopératives n'échappent pas aux contraintes du marché concurrentiel, qui pèsent sur le travail des salariés. Les Aciéries de Ploërmel sont ainsi confrontées à des délais imposés par de puissants clients, comme le français Alstom ou le canadien Bombardier. " Nous essayons d'anticiper au maximum, explique Rémy Garin. Cela nous arrive de passer aux trois-huit. Et mieux vaut programmer ces changements d'organisation. " Les réunions du comité d'entreprise sont parfois animées. " Mais tout le monde s'y retrouve, car les salariés travaillent pour eux-mêmes ", ajoute-t-il. " Si les salariés adhèrent à la stratégie à long terme, comme la défense de l'emploi, ils comprennent le sens de leur sacrifice à court terme et sont prêts à jouer sur le rythme de travail ou sur la répartition de l'excédent ", observe pour sa part Danièle Demoustier, économiste du travail à l'Institut d'études politiques de Grenoble. Dans les coopératives, le débat sur l'organisation du travail n'est donc pas toujours plus aisé qu'ailleurs, du fait des contraintes économiques.

Autocensure

Des contraintes que les salariés peuvent être tentés d'intégrer un peu plus que dans les autres entreprises, de par leur statut de sociétaire. Basée à Mortain (Manche), la coopérative Acome, spécialisée dans la fabrication de câbles en cuivre et de fibres optiques pour de gros clients comme France Télécom, emploie 1 350 personnes. En 2003, un rapport de la Fondation européenne pour l'amélioration des conditions de vie et de travail2 saluait son mode de fonctionnement. Mais il s'interrogeait sur l'absence de syndicats et le refus du comité d'entreprise de recourir à des expertises indépendantes, au motif que " ce serait payer deux fois ". Une forme d'autocensure qui pose question.

Néanmoins, la participation aux décisions économiques garanties par les statuts et donc, en définitive, la plus grande liberté de parole dont bénéficient les salariés semblent avoir un effet bénéfique, sinon protecteur, sur leur santé. Arrivé comme intérimaire il y a onze ans à Chèque Déjeuner, Eric Lienon, délégué syndical FO, a d'abord été surpris par le tutoiement et la convivialité au sein de l'entreprise francilienne qui imprime les célèbres chèques-restaurant. Il ne cache pas aujourd'hui son enthousiasme. Tout se fait, selon le syndicaliste, dans " une entente collégiale ". " Quand des remarques sont formulées dans les services, cela remonte très rapidement. Lors des assemblées générales, nous pouvons interpeller directement le PDG sans risque de représailles. Notre voix est entendue ", se réjouit-il. Même constat dans le BTP. " La présence de pratiques participatives génère un climat propice à la santé des salariés ", assure Olivier Diard, délégué général de la Fédération nationale des Scop du BTP, qui regroupe 11 000 emplois, au sein de sociétés comptant huit salariés en moyenne. Il en veut pour preuve la fréquence des accidents du travail dans les Scop en dessous de la moyenne nationale.

Cette dimension participative a ses exigences. Pour qu'elle soit effective, les salariés doivent être valablement formés et informés afin de jouer pleinement leur rôle de sociétaire. C'est une des préoccupations de Corinne Leclaire, directrice générale du seul centre d'appels en coopérative, A Cappella, à Amiens (Somme). Depuis 2010, l'entreprise a quasiment doublé ses effectifs, passant de 60 à 115 téléopérateurs, dont 20 % seulement sont sociétaires. Ce déséquilibre fait apparaître " de vraies difficultés de communication sur le bien-fondé du statut coopératif et la question du travail ", reconnaît la dirigeante. A la fois sociétaire, délégué du personnel et délégué syndical (CFDT), Olivier Manchet se retrouve au coeur de ces contradictions. Aux questionnaires du CHSCT qu'il fait circuler auprès des salariés, ceux-ci répondent en évoquant une certaine pénibilité, notamment un stress lié aux appels conflictuels avec les clients, et " un salaire qui ne va pas avec ". Mais mettre en adéquation les revendications des salariés et les contraintes de gestion se révèle parfois " délicat ". Le fait d'être en coopérative ne résout pas tout.

  • 1

    Appelées anciennement " sociétés coopératives ouvrières de production ".

  • 2

    La responsabilité sociale des entreprises et les conditions de travail, par Jean-Pierre Segal, André Sobczak et Claude-Emmanuel Triomphe. Accessible sur www.eurofound.europa.eu/pubdocs/2003/28/fr/1/ef0328fr.pdf