© Jeanne Macaigne

Transition écologique : une aubaine pour le travail

par Nathalie Quéruel / avril 2020

Tandis que l’épidémie de Covid-19 met un brutal coup d’arrêt à la marche effrénée du monde, l’atmosphère retrouve un second souffle, matérialisé par les images satellite. Et nous retenons le nôtre, devant l’inconnu déroutant que pose la crise sanitaire planétaire. Signifiera-t-elle le sursaut nécessaire à la transition écologique ? Ou mettra-t-elle sous le boisseau, une fois le drame passé, l’indispensable mutation d’un modèle de production en bout de course ? Ce dossier, conçu début janvier, alors que paraissait lointaine la situation dans la province chinoise du Hubei, fait le pari de la première hypothèse.
Inscrire la question du travail à l’agenda du développement durable ne va pas de soi, tant celui-ci bouscule les formes d’exercice de l’activité. L’abandon des pesticides se traduit par un surcroît de manutention dans certains métiers. L’économie circulaire, qui entend mettre un terme à l’obsolescence programmée des objets – un non-sens pour l’environnement mais aussi pour ceux qui les fabriquent – accentue la pression dans le secteur des déchets et du recyclage, avec des risques professionnels qui se multiplient. Néanmoins, des pistes s’entrouvrent pour donner au travail une place centrale dans les transformations à venir, penser la prévention en même temps que l’écoconception des biens et des services, redéfinir des modes de coopération et d’entraide entre les salariés. L’urgence climatique, doublée de la crise sanitaire, impose de s’en saisir. Vite.

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Climat : ça chauffe pour les risques professionnels

par Henri Bastos Adjoint au directeur de l’évaluation des risques en charge de la thématique santé-travail à l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses). / avril 2020

Les répercussions du changement climatique sur les conditions de travail sont inéluctables. Hausse des températures, phénomènes extrêmes et nouvel environnement biologique vont mettre à mal la santé des actifs. La prévention collective doit s’organiser.

Records de chaleur, feux de forêt gigantesques, inondations, cyclones, élévation du niveau des océans… Autant de manifestations qui témoignent de la réalité d’un réchauffement climatique faisant l’objet d’un large consensus dans la communauté scientifique. Les conséquences sur l’environnement et sur la santé, déjà perceptibles, sont dues notamment à l’augmentation de la fréquence de températures et de précipitations extrêmes. Or, jusqu’à récemment, les effets sur la santé des travailleurs n’avaient pas été étudiés. Publiée en avril 2018, l’expertise relative aux effets du changement climatique en milieu de travail qu’a conduite l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) est venue combler ce vide. Ces travaux prospectifs s’attachent à décrire les impacts sanitaires liés aux modifications climatiques prévisibles à cinq ans et jusqu’en 2050. Au-delà, il semble en effet difficile d’anticiper l’évolution des métiers et des risques. 
Les travailleurs exerçant une même profession peuvent être confrontés à des expositions très différentes. C’est pourquoi l’évaluation a été réalisée en s’intéressant avant tout aux situations de travail, permettant ainsi de dépasser la cartographie des métiers et des postes, souvent peu explicite au regard des conditions de travail réelles. Cette approche par « circonstances d’exposition » a permis d’identifier des modalités de risques transposables à n’importe quelle profession et de proposer des conclusions pertinentes pour l’ensemble des travailleurs – salariés, commerçants, indépendants, professions libérales, fonctionnaires, etc. Et ce, quel que soit leur domaine d’activité.

Baisse de la vigilance, malaises, déshydratation…

La conclusion à retenir, sans surprise, est que la santé au travail sera affectée par les nouvelles conditions climatiques ! Les risques professionnels vont effectivement croître, sous l’effet de trois principaux changements : la hausse des températures ; l’évolution de l’environnement biologique et chimique ; la modification de la fréquence et de l’amplitude de certains aléas climatiques. Selon les projections, les vagues de chaleur estivales seront à la fois plus répandues, fortes et longues – ce phénomène étant un peu plus marqué dans le Sud-Est de la France. En conséquence, les travailleurs seront soumis à des perturbations neuropsychologiques, par exemple une baisse de la vigilance, qui pourront entraîner davantage d’accidents du travail. Mais aussi à des perturbations physiologiques, telles que crampes, malaises et déshydratation, allant jusqu’au coup de chaleur. Ces risques sont évidemment exacerbés pour celles et ceux exerçant une activité nécessitant des efforts physiques soutenus ou des postures contraignantes. En outre, les épisodes de chaleur intense, avec des températures nocturnes élevées empêchant la récupération, ont tendance à altérer la tolérance des individus, et donc à aggraver les situations de tension au travail, que ce soit dans les relations avec l’encadrement, les collègues ou le public. 
La hausse des températures accentuant les phénomènes d’évaporation des substances volatiles, l’exposition au risque chimique, notamment par inhalation mais aussi par voie cutanée, augmentera. Les incendies ou les explosions devraient également se multiplier, puisque la limite inférieure d’inflammabilité des produits stockés est plus rapidement atteinte dans ces conditions. Les individus travaillant dans les milieux naturels ou en contact avec des personnes et des animaux seront plus exposés aux agents biologiques car le changement climatique va modifier les zones où sont répartis les vecteurs de maladies infectieuses, comme les moustiques ou les tiques. 

Une désorganisation de la production ou son interruption

Une incertitude concerne les rayonnements ultraviolets : l’analyse des données scientifiques ne montre pas une tendance claire à la hausse du nombre de journées de plein soleil, ni actuellement ni à l’horizon 2050. Pour autant, cela ne veut pas dire que les travailleurs, notamment de plein air, seront épargnés car les températures plus élevées pourraient les inciter à changer de comportement vestimentaire. 
Quant aux catastrophes naturelles, qui vont s’amplifier, qu’ils s’agissent de tempêtes, d’inondations ou de feux de forêt, elles auront des effets à plusieurs niveaux. Ce sont d’abord des risques accrus d’accidents du travail, liés à l’état de fatigue physique et psychique, en particulier pour ceux qui travaillent dans le secteur des secours aux personnes. Mais, au-delà, la désorganisation de la production ou son interruption, à cause de la destruction des outils, fait peser une menace : celle d’importantes pertes d’emploi, dont on connaît les répercussions négatives sur l’état de santé général des individus. 
En conclusion, le constat est clair autant que partagé : le changement climatique entraînera une augmentation des risques professionnels connus, aussi bien en termes de fréquence que de gravité. Il est donc essentiel de renforcer sans délai la sensibilisation du monde du travail, qu’il faut mobiliser sur ces enjeux. L’ensemble des acteurs de la santé au travail est invité à prendre en compte, dès à présent, les répercussions de ce phénomène, celles qui sont déjà perceptibles et celles qui peuvent être anticipées. Cela signifie adapter les démarches d’évaluation des risques, en recensant les personnes potentiellement concernées, en identifiant les expositions réelles en fonction de la zone géographique, en étudiant spécifiquement chaque poste de travail, etc. Et en donnant une priorité immédiate à la prévention des risques professionnels liés à la chaleur.